Page:Burnouf - La Science des religions.djvu/282

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que la science profite de tout ce que perd cette dernière et contribue elle-même à ces pertes successives. Pendant la période plus ou moins longue d’une décadence sacerdotale, la société est livrée à une lutte dont les actes offrent les personnages et les scènes les plus variés, quelquefois comiques, souvent tragiques. Des deux côtés, on crie à l’oppression, à l’injustice. On montre aux peuples l’abîme de l’incrédulité où ils se fourvoient ; on leur montre les avantages qu’ils retirent du savoir et l’âge heureux où la science les conduit. Les orthodoxes font voir la société se désorganisant, les temples désertés, les dieux outragés, l’iniquité et le crime établissant leur règne et livrant les hommes séduits à une damnation éternelle. Les libres-penseurs, les sages, comme disaient les Grecs, les hommes de science enfin, s’appliquent à dissiper les terreurs de l’autre monde ; ils appellent les hommes à la liberté, à l’effort personnel, à l’instruction qui élève l’intelligence, au travail qui adoucit et orne la vie, à l’économie qui assure l’avenir de la famille, à l’exercice des droits civils qui font la force des états, à la paix enfin, bien suprême de l’humanité, que les orthodoxies ont toujours empêché. Voilà ce que l’on dit de part et d’autre avec des apparences de raison.

À ce point de sa durée, une orthodoxie paraît une force oppressive ou du moins coercitive, qui retient un peuple dans l’ignorance pour le dominer ; la science paraît une force impie, un principe de dissolution et d’immoralité tourné contre la religion. Mais si l’on fait attention que c’est l’élément commun des orthodoxies qui constitue cette dernière et qu’il n’est jamais en cause, un esprit sincère, exempt de terreurs et de préjugés, s’aperçoit bientôt que la chute des orthodoxies n’intéresse pas la religion, non plus que la vague qui monte et s’abaisse n’intéresse l’existence de la mer ;