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APPENDICE. — N° VIII.

et de ses mains sont marqués de réseaux, » littéralement, « Il a des pieds et des mains dont les doigts ont des réseaux. » Les quatre listes de Ceylan ne parlent pas des doigts, et donnent uniquement ce détail : « Ses pieds et ses mains ont des réseaux. » Quant à ce qu’il faut entendre par « des pieds, des mains, des doigts qui ont des réseaux, » le Vocabulaire pentaglotte et la liste népalaise ajoutent à leur définition un terme qui ne permet pas le moindre doute ; c’est le mot âbandha, ou plus correctement âbaddha, signifiant, « attaché à, attaché sur. » Les leçons de ces deux autorités doivent donc se traduire littéralement, celle du Vocabulaire pentaglotte, « il a des pieds et des mains sur lesquelles sont attachés des réseaux ; » et celle de la liste népalaise, « la qualité d’avoir sur la plante de < ses pieds, sur la paume de ses mains, sur ses doigts précieux des réseaux attachés. » Il me paraît évident qu’il ne peut être ici question de réseaux qu’on aurait attachés aux mains et aux doigts de l’homme dont on entend décrire les perfections physiques, mais qu’on exprime ainsi figurativement les lignes qui se croisent sur les mains et les doigts potelés des personnes corpulentes et un peu âgées. C’est un caractère assez singulier sur lequel je ne manquerai pas de revenir, quand j’apprécierai la valeur ethnographique et historique de cette double énumération des trente-deux signes de beauté et des quatre-vingts attributs secondaires.

La version tibétaine a cependant fourni à M. Foucaux une interprétation très-différente de celle que je viens d’exposer, et qui, je l’avoue, me parait assez inattendue ; la voici : « Les doigts de ses pieds et de ses mains sont réunis par une membrane. » Veut-on dire par là que les doigts du Buddha laissent voir à leur base une peau, ou si l’on veut, une membrane lâche destinée à les réunir sans en gêner l’écartement ? cela n’aurait rien d’extraordinaire, et je doute qu’il valût là peine de le remarquer. Veut-on dire au contraire positivement la chose même qu’expriment ces termes si précis, « sont réunis par « une membrane, » savoir qu’une membrane rattache les uns aux autres les doigts des mains et des pieds dans toute leur étendue ou seulement en partie.’* alors cela ne va à rien moins qu’à faire passer celui qu’on représente comme le modèle de l’humanité dans la classe des palmipèdes, ce qu’aucune nation buddhiste à ma connaissance, au Tibet ou ailleurs, n’a certainement pu vouloir dire. Le système de littéralité absolue que suivent les Tibétains est probablement la cause de cette équivoque. En sanscrit elle n’est pas possible, car djâla n’y signifie jamais membrane. Outre sa signification primitive en tant que dérivé de djala, « eau, » le mot djâla désigne un filet, un réseau, puis un treillage, comme ceux qu’on place aux fenêtres et dont on voit la figure sur les monuments et les peintures indiennes. Il ne m’appartient pas de décider si le terme tibétain dra ba, par lequel l’interprète du Lalita vistara remplace le sanscrit djâla, signifie à la fois réseau et memèrane ; mais quand cela serait, je ne verrais pas de raison de préférer à la première acception, qui donne un sens raisonnable, la seconde, d’où résulte une interprétation que ne justifient d’aucune façon les peintures ni les statues de Çâkya, où les doigts longs et parfaitement détachés les uns des autres n’offrent aucune trace de membrane qui les unisse. J’ajouterai que les textes buddhiques du Nord qui sont à ma disposition ne m’ont pas jusqu’à présent fourni le moyen de décider définitivement entre mon interprétation et celle des Tibétains. Ainsi