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DES DAMES FRANÇAISES.

Mais d’un aveugle instinct suivant les douces loix,
Je les vois près de vous revenir mille fois.
À leurs yeux effrayés, vos tiges chancelantes,
Contre un acier cruel, débiles, impuissantes,
Penchent leur tête altière, et, d’un effort bruyant,
Rompent, et sur leurs troncs roulent en gémissant.
Quel fracas ! quel débris ! Hier la riante Aurore
Pensoit qu’à ses regards vous paroîtriez encore,
Arbres infortunés. Ah ! vous y paroissez
Sans vie et sans beauté, mutilés, terrassés.
Le Temps, toujours jaloux des droits de son empire,
Irrité que les ans n’eussent pu vous détruire,
Excite contre vous les mortels aveuglés.
Que vous sert de compter des siècles écoulés ?
Un jour vous voit périr ; vous rampez sur le sable,
D’un cruel attentat image formidable.
Quels objets offrez-vous à mes yeux éplorés,
Hauts chênes, vieux ormeaux, vainement révérés !
Je n’écouterai plus, sous votre épais feuillage,
De la sœur de Progné le tendre et vif ramage,
Le murmure léger du zéphire nouveau,
Ou le gazouillement d’un paisible ruisseau.
Sous vos berceaux obscurs, dans vos routes chéries.
Si propres à causer de douces rêveries,
Aux écarts du génie abandonnant mes sens,
Jamais je ne verrai les objets ravissans
Dont une illusion subite et poétique
M’a si souvent tracé le tableau magnifique.
Dans ces charmans transports, vous étiez à mes yeux
Le séjour fortuné des nymphes et des dieux :
J’y croyois voir les jeux des folâtres ménades,
Les danses, les concerts des sylvains, des dryades ;
Diane, rassemblant les déesses des bois,
Poursuivre, terrasser une biche aux abois.