Page:Byron - Œuvres complètes, trad. Laroche, III.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Manf. Il n’importe : je connais parfaitement mon chemin, et n’ai plus besoin de guide.

Le chass. Tes vêtements et ton port annoncent une haute naissance. Tu es sans doute l’un de ces chefs nombreux dont les châteaux dominent les basses vallées ? — Quel est celui dont tu es le seigneur ? J’en connais seulement le portail ; il est rare que mon genre de vie me conduise dans la plaine, pour me réchauffer au large foyer de ces vieilles demeures, ou m’y réjouir avec les vassaux ; mais les sentiers qui mènent de nos montagnes à leurs portes me sont familiers dès mon enfance ; lequel de ces châteaux est le tien ?

Manf. Peu importe.

Le chass. Eh bien ! excuse mes questions, et reprends un peu de gaieté. Allons, goûte mon vin ; il est vieux ; plus d’une fois il a dégelé mes veines au milieu de nos glaciers ; qu’aujourd’hui il en fasse autant pour toi ! — Allons, buvons ensemble.

Manf. Arrière ! arrière ! sur les bords de cette coupe il y a du sang ! la terre ne le boira-t-elle donc jamais !

Le chass. Que veux-tu dire ? ta raison t’abandonne.

Manf. Je te dis que c’est du sang, — mon sang à moi ! la source pure qui coulait dans les veines de mes pères et dans les nôtres quand nous étions jeunes, et que nous ne formions qu’un cœur, et que nous nous aimions comme nous n’aurions pas dù nous aimer ; et ce sang a été versé ; mais il s’élève aujourd’hui, il rougit les nuages qui me ferment l’entrée du ciel, où tu n’es pas, où je ne serai jamais.

Le chass. Homme aux paroles étranges, tourmenté de quelque remords délirant qui peuple pour toi le vide, quels que soient tes terreurs et tes tourments, il est encore pour toi des consolations — dans les secours des hommes pieux, dans une religieuse patience.

Manf. La patience ! la patience ! arrière ! — Ce mot fut créé pour les bêtes de somme, non pour les oiseaux de proie. Prêche la patience à des mortels de ton argile. Je ne suis pas de ta race.

Le chass. J’en rends grâce au ciel ; je ne voudrais pas