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le forgeron de thalheim

que toutes en deuil : les unes ont perdu des fils, d’autres des pères, certaines femmes leurs, époux, des jeunes filles leurs fiancés. Et, après toutes les misères vécues, tant d’affronts subis, tant de douleurs souffertes, nous sommes condamnés, nous tous, à rester toujours sur le qui-vive, nous couchant avec la peur, et nous réveillant dans l’incertitude. Avons-nous le cœur haut placé, c’est un crime ; nous soumettons-nous à la force des circonstances, nous passons pour lâches. Nos mères tremblent, nos filles tremblent, nos jeunes gars supportent avec peine la honteuse défaite, et l’ennemi, si nous osons crier, nous impose silence de sa grosse voix colère. Si un mot français nous échappe, nous devenons suspects ; si nous nous recueillons dans notre tristesse, on a l’œil sur nous, parce que l’on s’imagine que nous pleurons la patrie. Est-ce que Dieu a donc créé certains peuples pour être continuellement le jouet des autres ?

— Mère, mère, calme-toi ! Ce n’est rien, je t’assure. Je n’ai pu conserver mon sang-froid ; mais, je pense qu’il ne m’arrivera rien.

— Espérons-le ! fit la veuve. Ce serait un coup trop pénible pour moi.

Je t’en prie, Robert, mon enfant, ajouta-