Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/177

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que deux petits châssis. Au passage du bateau, des mouchoirs s’agitent, toute la marmaille accourt pieds nus, les doigts dans la bouche ; un bébé joufflu agite sa petite chemise pour répondre aux saluts. Dans un parc, une vigoureuse fille des champs ploie sous le faix de deux chaudières de lait. Elle s’arrête immobile et rêveuse, suivant longtemps des yeux le bateau qui fuit, tandis qu’un vieillard impassible tire du puits, un seau d’eau, que le soleil paillette de diamants.

Au loin, un nuage frissonne dans l’air comme le bout léger d’une plume d’autruche. Des maisons s’étagent avec grâce : c’est Sorel, la petite ville rouge, émergeant d’une alcôve verte. Elle regarde, souriante, le fleuve et la coquette rivière qui s’enlacent à ses pieds dans une douce étreinte, heureuse, la coquette, de mêler son onde gazouillante au flot langoureux du Saint-Laurent. L’espace entre les deux rives s’élargit. Une forêt de pins succède à un bois de bouleaux longs et minces, rêveusement penchés dans des attitudes de poètes amoureux, les cèdres nombreux et symétriques sont droits comme des soldats rangés en bataillons. Parfois un héron, perché sur le haut de ses grandes pattes, énigmatique et songeur, distrait ses loisirs en pêchant de petits poissons. Des libellules aux ailes transparentes viennent voltiger sur l’onde limpide comme une glace. Des agneaux bondissent dans les prairies. Le meuglement plaintif des vaches répond au bêlement des moutons, au bruissement des sauterelles, aux soupirs du vent dans les joncs, aux derniers gazouillement des oiseaux en leurs nids. Tous ces bruits du soir descendent sur la terre, endormants comme une berceuse. Une douce fraîcheur, une paix immense tombées du ciel enveloppent le fleuve. L’astre glorieux au moment du départ concentre tous ses rayons dans un brillant