Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/234

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
226
bleu — blanc — rouge

elle se penche vers le chaudron de fer qui bout sur le poêle et interroge la densité de l’écume moutonnante, à l’aide d’une cuillère en bois qu’elle enfonce dans le liquide. Lentement, elle la laisse dégouliner dans une tasse d’eau froide.

— Non !… Pas encore, conclut-elle de son expérience.

Catherinette continue son petit ménage, essuie la vaisselle, lave la table, époussette le levant du poêle, et tisonne le brasier. Elle enduit de beurre deux grands plats blancs, puis court au chaudron qui renverse en bouillonnant. Mais, cette fois, un sourire satisfait erre sur les lèvres de Catherinette, fleuries comme un laurier rose. Des perles brunes s’agglomèrent au fond de la tasse remplie d’eau, grenues à craquer sous la dent ; les doigts de la jeune fille les font cliqueter sur la faïence, c’est le signe : la tire est à point. Catherinette d’une main vigoureuse empoigne le lourd chaudron de fer ; elle en verse le contenu dans les grands plats blancs où la tire s’épand comme une belle nappe brune allumée de pépites d’or.

Et Jeannot ? Le froid lui a gelé le cœur, la mort l’a frappé sur le seuil de sa porte, comme ce prince des contes de fées, expirant d’amour aux pieds de sa bien-aimée avant de lui avoir pu déclarer sa flamme… Non, rassurez-vous, Jeannot vit encore, mais un plan machiavélique a germé dans son cerveau — il s’est dit qu’il aurait ce soir raison de cette mijaurée de Catherinette. Il lui faut son baiser, et coûte que coûte, il l’aura… L’infâme guette dans l’ombre le moment favorable à ses noirs desseins. Un froid mortel glace son sang, il n’ose se frapper les mains pour se réchauffer, dans la crainte de trahir sa présence. Sa belle moustache se cristallise, ses cheveux s’en-