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bleu — blanc — rouge

— Guérir, non je ne veux pas, pour qu’on m’envoie loin, loin, dans un couvent, comme mon amie Juliette.

Je me souviens bien de l’histoire de cette petite fille que tu me contais. On l’avait enfermée dans une grande maison sombre, pour s’en débarrasser ; ses compagnes la martyrisaient, et quand elle cherchait à se revenger, de méchantes personnes l’enfermaient dans un cachot où il y avait de gros rats. Le soir, elle avait frayeur de dormir dans l’obscurité, il lui semblait voir de grandes ombres danser sur le mur, ou un homme tout noir, caché sous son lit. Elle sanglotait, en appelant Maman !…

La petite rusée, elle avait compris le chagrin fait à sa mère par son imprudente question de tout à l’heure et elle voulait cautériser le mal.

— Non je ne veux pas guérir, je suis bien ainsi, je te vois toujours auprès de moi, tes mains rafraîchissent mon front brûlant, et quand je m’endors je rêve à toi.

Savait-elle, la pauvrette, qu’elle s’en irait bientôt ? Peut-être. Certains fruits d’été, qu’un coup de vent jette par terre, n’ont-ils pas la succulente maturité des fruits d’automne ?

Ainsi, dans cette enfant si frêle palpitait une vie intense : le cœur avait une intuition de femme faite, une perception étonnante des souffrances qu’on ne lui avouait pas, il semblait qu’antérieurement elle eut aimé et souffert : une âme de martyre, exilée dans ce corps de fillette.

L’enfant et sa mère laissèrent la campagne au mois de septembre ; j’appris qu’elles habitaient une grande maison en pierre sur la rue Saint-Hubert, et que la jeune phtisique était la fille unique d’un riche marchand qui