Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/177

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joyeuses, que de joyeux compagnons ! Tout cela fuyait dans le lointain.

Ô nature ! première et dernière maîtresse de l’homme, toi qui lui restes fidèle quand les autres le trahissent, pourquoi ne te voyons-nous pas toujours à travers le prisme de nos premières illusions ? Toi qui nous prodigues à tout âge d’émouvants spectacles et de tendres caresses, pourquoi ne pouvons-nous t’aimer deux fois avec des forces aussi neuves ? Ô fleur de jeunesse, si vite éclose, sitôt fanée ! pourquoi les mornes préoccupations sociales font-elles tomber dans ton blanc calice cette goutte de fiel qui, semblable à la tache d’huile, s’étend, s’étend, pour ne jamais disparaître ?




De nombreuses réflexions m’assiégeaient. Dans les moments critiques de notre existence, quand une barrière s’élève tout à coup devant le but que nous voulions atteindre, nous aimons à revenir sur notre passé, et à refaire notre avenir d’après les événements du présent. À ces heures-là, l’homme s’isole des objets extérieurs ; ses idées le dominent tellement que, loin de l’en distraire, le mouvement et le bruit ne font que les favoriser. Aussi, tandis que la diligence roulait vers la frontière du Jura, j’en étais arrivé à ce 85 point d’absorption et de béatitude qui nous fait désirer de voir s’allonger la route, afin de ne point quitter le coin de la voiture où nous avons fait de si beaux rêves.