Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/182

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eux-mêmes, sans implorer le despotisme et s’humilier devant lui !

Nous sommes loin de ces jours et de cette patrie. En juin 1849, une terreur générale pèse sur la France. La Délation, amaigrie par les veilles, marque ses victimes de porte en porte ; on se surveille, on se craint, chacun redoute de parler dans l’oreille de son voisin. La confiance et la dignité sont remontées au ciel ; les hommes se déchirent. Ô pudeur ! le mouchard est canonisé, le père est vendu par son fils, et l’amant par sa maîtresse !

C’est un de ces temps où les gens honnêtes sont livrés à la discrétion des estafiers, où la police se soûle de vexations et d’insolences, où l’on persécute pour le plaisir de faire souffrir. Un temps où l’on ne danse plus au village, où les cabarets sont fermés, où les chiens hurlent dans la solitude, où l’herbe croît dans les rues ; les 88 veillées ont cessé dans les granges, le cheval reste à l’écurie, et le fusil au crochet de la cheminée noire.

Le laboureur trace le sillon sans chanter ; le postillon laisse dormir son clairon oublié ; les soldats foulent les moissons et s’installent d’autorité dans les maisons particulières ; les nacelles se balancent dans les ports. Tout homme est suspect qui ne crie pas avec les autres : vivent la Terreur et la Mort !

La foule accourt sur le passage des voitures publiques, et mille regards soupçonneux scrutent les voyageurs. Sur les portes des auberges, on ne voit plus les jeunes filles accortes, mais le grossier gendarme qui traîne avec complaisance son grand