Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/189

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surgé qu’arme le désespoir, du voleur que la faim conseille, de l’assassin, de la fille qui vend son honneur. Tu es mon frère, à moi proscrit, qui ne sais où je serai demain ».

— « Paroles de jeune homme ! reprit le contrebandier. La terre est plus près de nous que le ciel. L’homme vit d’abord de pain, et puis de pensées, s’il en a le temps. Celui qui respire dans l’avenir ne trouve pas toujours sa nourriture dans le présent. Vous autres, rêveurs, vous vous représentez la Prohibition comme une marâtre au sein flétri de laquelle les hommes puisent la mort. Nous, réalistes, nous la connaissons mieux. Il est des accommodements avec elle ; la douane et la contrebande sont ses filles amies. Dans certains temps, notre commerce ne laisse pas d’être lucratif comme celui de l’État.

» En deux mots, voici l’exposé de ma morale pratique :

» La société ressemble à un vaste camp de voleurs. Chacun y dresse sa tente où il peut, comme il peut, aux dépens de son voisin. Il en est dont le vol est protégé, et qui acquièrent honneurs et richesses. Ce sont ceux qui ont trouvé la terre inculte, l’argent brut, les intelligences en friche, et les hommes disposés à l’esclavage. Ceux-là sont les premiers occupants, les propriétaires, les exploiteurs, les diplômés. La loi fut faite par eux ; le gouvernement doit fonctionner à leur profit. — Il en est d’autres qui sont arrivés quand toutes les places étaient prises, et qui cependant ne peuvent