Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/222

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sanglantes révoltes de ces deux dernières années avaient eu aussi trois phases. D’abord le matin l’action, la victoire brillante, enthousiaste, universelle, pavoisant de couleurs républicaines les clochers de toutes les capitales. Et puis, la lutte par la pensée, par la presse, par les écrits, moins glorieuse, moins active. Enfin, le soir, la défaite qui a perdu la voix, et ces révolutionnaires, à qui le monde semblait trop étroit, fuyant, contenus à l’aise sur le pont des bateaux du lac.

Encore s’ils s’étaient entendus, s’ils avaient pu mettre d’accord leurs opinions et leurs voix ! Mais non ; ils parlaient des langues différentes, leurs idées n’étaient pas les mêmes, et plus ils s’efforçaient de se réunir dans une commune croyance, plus ils découvraient entre eux d’infranchissables distances. De là des découragements infinis, des discussions sans fin où chacun voulait prendre part, des paroles qui se croisaient, se heurtaient sans ménagement, des convictions entières qui se fatiguaient à vouloir s’imposer et 116 qui ne parvenaient même pas à se faire écouter par des convictions plus absolues encore. De là ces voix qui s’enrouaient, grossissaient, éclataient, enivrées par le feu de la contestation. De là ces raisonnements mille fois interrompus et mille fois repris, à chaque nouvelle occasion. Oh ! que sont stériles et dangereuses les discussions qu’entretient l’oisiveté et sur lesquelles souffle l’amour-propre !

Le malheur aigrit et rend injuste. La partie