Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/231

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un cœur de femme ; jusque-là je ne m’étais rendu compte que de l’amour maternel. Par elle j’admirai l’union et les joies de la famille, lorsqu’elle n’est pas devenue l’arène où se choquent des âges et des intérêts disproportionnés. Par elle je fus amené à réfléchir de nouveau sur la notion de patrie, et je reconnus, ce que j’étais près d’oublier, qu’il est naturel à l’homme de s’attacher à un pays qui n’est pas limité ou avili par la main des tyrans. Par elle enfin, je sus ce que peut produire une passion unique, concentrée dans une âme forte, lorsque l’opinion et les préjugés ne l’ont pas amoindrie. Cette femme fut pour moi un livre ouvert ; malheureusement, par la main du malheur.

Par toutes ses qualités, par tous ses grands sentiments, par son enfant, par son mari, par ses parents aimés qu’elle soit heureuse enfin ! Que son fils grandisse loin des esclaves et des flatteurs ! Qu’élevé librement, sur un sol dont il n’est pas sujet, il ignore à jamais ce que c’est qu’un gouvernement et une hiérarchie sociale ! Heureux les enfants qui croissent dans l’exil ! Leurs parents en supportent les peines ; eux en retirent l’indépendance et la dignité. Ils se considèrent comme citoyens du monde, et s’habituent aux conséquences qu’entraîne cette grande pensée. Et nous, imbus de préjugés, souillés de sol natal, imprégnés d’air français, nous sommes partout comme des sensitives qu’on irrite pour les faire trembler.