Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/245

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d’un pas. Comme je vous connaissais tous, que j’avais partagé votre exil, et que je jouissais d’une certaine influence parmi vous, on me chargea de l’odieuse mission que j’accomplis aujourd’hui. Au rebours des autres administrations, la Préfecture de Police confie ces négociations les plus importantes à ses agents les plus nouveaux. On est sitôt connu, on vieillit si vite dans la carrière de l’infamie !

« Voilà ma lamentable histoire, Beyer, voilà le gouffre sans ciel et sans fond dans lequel je suis ballotté depuis trois mois ; voilà comment aujourd’hui, moi, votre ancien camarade, je ne mange pas un morceau de pain qui ne soit arrosé de votre sang. Hélas ! la terre de Suisse me brûle les pieds, moi qui la trouvais si riante et si fraîche quand je la foulais en te donnant le bras ! Il me semble que ce beau ciel va se couvrir de nuages, et m’emporter, avec ses tempêtes, dans le fond des abîmes. Il me semble que les murs de cette prison vont se rapprocher pour m’aplatir, comme un reptile immonde. Que répondrai-je à ma femme, à mes enfants, à l’ombre de mon père, quand ils me demanderont si la faim me donnait le droit de salir leur nom ? Comment oserai-je affronter les regards de ceux qui me connurent.

« Malheureux assassin ! pour moi la vie ne refleurira plus sur sa tige flétrie, pour moi le monde est sans fin et sans lumière, comme la nuit du tombeau ! Je suis maudit, plus maudit qu’Étéocle, plus maudit que Pierre-le-Cruel, plus maudit que