Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/267

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Mon corps ne couvrirait pas six pieds de terre ; j’entends à peine le chant de ce nautonnier. Et je voudrais planer sur la nature ! Rêves ! grandes voix intérieures, ne me fatiguez plus. Ou plutôt, conscience de la faiblesse humaine, ne paralyse pas mon essor.


Temps ! tu es si vieux, tu as tant couru ! Ne pourrais-tu, pour un instant, me prêter tes ailes ? Nuit ! ne me donneras-tu pas ton oreille attentive ? Et vous, aigle superbe, oiseau de Jéhovah, votre vue ? Et toi propriétaire mon père, avec quelles prières faudra-t-il frapper sur tes doigts maigres pour qu’ils se crispent moins fort sur les cordons de ta bourse ?

Si j’étais libre et léger comme la feuille du tremble, comme la vapeur matinale ou l’écume des mers, j’irais plus loin qu’elles. Mais les passe-ports ne s’obtiennent pas sans difficultés, les climats nous éprouvent, il nous faut trainer avec nous un arsenal de précautions contre le froid et contre le chaud. Le sang, la chair et la graisse sont lourds ; la locomotion de l’homme est dispendieuse.


Je voyagerai cependant. — Je laisserai derrière moi Genève, triste Babel où la proscription se déchire ; mon opiniâtreté saura vaincre 145 l’avarice paternelle. Et jamais proscrit ni voleur ne manquèrent de passeports.

Ainsi parlait en moi le rêve à la voix argentée.