Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/358

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hurlements des damnés dans la poix fondue. Autour du Waldstætten, l’archange vole lourdement, se posant de temps à autre sur les angles des parois pour flageller l’orage.


Seul le bailli Gessler avait cru pouvoir braver la tempête ; il n’y avait que sa barque sur la fosse béante. Elle penchait, la frêle péniche, sur l’un et l’autre côté ; l’eau battait ses flancs, et de temps à autre, la couvrait d’un linceul d’écume. L’équipage était rendu de fatigue et de terreur ; on ne distinguait plus de rivages entre le ciel et l’eau ; seulement, à la rouge lueur des éclairs, on voyait s’élever çà et là les têtes chauves des récifs. Gessler grinçait des dents comme une fauve prise au piège.

« À genoux ! votre dernière heure a sonné. » Ainsi dit Guillaume Tell.

Et les matelots lui tendaient les rames, et le gouverneur à genoux le suppliait de le sauver. On le délivra de ses fers, et Gessler, ô dérision ! promit la liberté à celui dont sa vie dépendait. Toute-puissance, vanité, pompes des trônes de la terre : impuissance, lâcheté, misère profondes ! Vous qui vous redressez sous le sceptre, vous pâlissez parce qu’un peu d’écume a blanchi ; vous perdez haleine parce que le vent souffle un peu fort ; vous vous humiliez à l’heure du danger devant l’éternelle justice dont vous vous riez dans vos antichambres. Vous tenez autant à la vie que les couleuvres, et pour la conserver, vous souf-