Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome I.djvu/482

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unies. Vous 285 voyez ce que gagnent les hommes à éterniser les haines et les guerres vengeresses.

Suisse bien-aimée ! pourquoi m’as-tu banni ?

Elles ne m’écoutent pas. Dans leur rage insensée, elles me briseraient contre les récifs. Je les fuis alors, et toute la nuit j’entends leurs voix mutinées qui me crient : « Bonsoir, Bonsoir ! ce n’est pas nuit d’amour sur le lit du Léman. Nous menons l’orgie, nous dansons l’infernale ronde, nous balayons, comme des sorcières, les pieds des monts ; nous nous avançons par bandes joyeuses parmi les joncs de la plaine d’Aigle, nous allons caresser, dans les vignes de Montreux, les raisins nos fiancés, avec lesquels les marchands nous marieront quand ils seront mûrs. Nous sommes échevelées, joyeuses. Qui ne serait fier de mordre les pieds de l’orgueilleuse Genève, de Lausanne la démocratique, de la généreuse Savoie et du pittoresque Valais ? N’es-tu pas joyeux d’habiter ce paradis terrestre, quand tant d’autres sont condamnés à végéter dans les capitales ? »

Suisse bien-aimée ! pourquoi m’as-tu banni ?

Elles reprennent encore : « Il nous faut du plaisir, nous voulons nous enivrer. Les hommes nous font tellement travailler, la vapeur est si exigeante, que nous ne connaissons plus de jour de fête. Allons, allons ! Élançons-nous jusqu’au ciel, et quand nous aurons baisé les nuages, nous retomberons en pluie d’argent ; courons après les petites barques, enroulons les voiles autour des mâts, brisons les agrès, souffletons les matelots,