Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/370

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trône sanglant d’un agneau qui respirait encore ; il avait enfoncé ses pattes crochues dans les yeux de la pauvre bête, et de tout bec, en toute paix et tranquillité de cœur, lui donnait sépulture au grand détriment des vers et des insectes.

» Tu le regardes faire un instant, puis impatienté de son outrecuidance de repu, tu baisses dans sa direction ton point de mire et presses machinalement la détente meurtrière. Et tu vois l’oiseau vorace battre d’une aile, quitter son festin du soir et se traîner au profond d’un sillon. Tu ne le perds pas de vue ; de temps à autre il se retourne comme pour te narguer, puis il essuie contre les herbes son bec rempli de chair et paraît la savourer avec délices.

» Ton chien s’est élancé sur sa trace ; mais quand il en est près il s’arrête ; ses poils se hérissent, il pousse des hurlements plaintifs. La bête noire cependant lui tient tête et lui siffle aux narines. C’est alors que, craignant pour les yeux de ton bon 229 braque, tu prends un énorme caillou près de l’agneau mourant, et d’un coup écrases la tête du corbeau.

» À cet instant, la lune regarda de ses yeux endormis par dessus les collines diaprées par l’automne, et promena sa douce clarté sur les fruits écarlates qui se balançaient aux rameaux des pommiers. »

— Tu dis vrai, Gitana la belle, je vois encore les yeux de l’ensevelisseur des guerriers morts, j’entends encore ses cris de détresse. Mais pour-