Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/41

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Moi je sens vivement ce qui défie nos expressions et nos éloges ; je ne vous ferai pas l’injure de vous appeler mon créancier.

L’Amour est plus fort que les faisceaux d’armes et les tables de la Loi. L’Amour au joyeux sourire s’enfuit devant la Dette au front plissé. Les rendez-vous imprévus le remplissent d’allégresse, les visites de convenance provoquent ses bâillements. Le Fini ne peut contenir l’Infini ; l’Attrait domine la Règle ; le Devoir s’éteint, le Droit est immortel. Quand on doit, on s’acquitte le plus 9 vite possible ; quand on aime, on ne s’acquitte jamais, on ne le peut pas, on ne le veut pas ; on a trop de bonheur en y pensant toujours. Quand on doit, on est contraint ; et vous ne voudriez pas d’une déférence forcée, du respect, de la vénération qu’on se paye entre négociants et hommes politiques. Et je ne pourrais vous les accorder. Ces rapports seraient indignes et de vous et de moi. Nous sommes trop libres tous deux pour nous enchaîner l’un par l’autre.

Ce qu’il vous faut, je le sais. C’est l’estime que personne ne peut vous refuser ; c’est l’affection durable qui naît d’une sympathie réciproque ; ce sont les longues conversations, les hommages qu’on rend aux histoires glorieuses, les lointains aperçus sur l’avenir de l’humanité. Ce qu’il vous faut, ce sont les intimes épanchements où les cœurs se comprennent, où les voix leur servent d’interprètes et les yeux de miroirs ; ce sont les rêveries à deux, à l’ombre au bord de l’eau ;