Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome II.djvu/93

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au milieu tombe une goutte d’encre, c’est à recommencer ! Alors je tempête, je me barbouille les doigts et la chemise ; les idées que j’enchaînais avec peine s’échappent de la prison de mon cerveau. Joyeuses, siffleuses, moqueuses, elles me raillent sans pitié, me font les gestes les plus vexants pour un galant homme, me dansent les entrechats les plus crochus, les plus aigus, obtus, tortus, satiriques, sataniques, fabuleux. Elles passent et repassent devant mon nez qui s’allonge, et pareilles à des ombres chinoises, elles m’ensorcèlent et me disent : tu nous as dérangées, tu ne nous verras plus ! Et je déchire mon papier, je brise ma plume, j’envoie le tout promener au diable, et moi-même j’y vais. Voilà ma journée perdue, le monde privé d’un chef-d’œuvre, mon sommeil troublé, mon caractère aigri. — En vérité, dites-vous, c’est pour peu de chose ! — Eh bien ! essayez de méditer un peu ; vous verrez après s’il ne vous est pas très difficile d’écrire.


Je prendrais bien plus résolument mon parti de ces petites misères si je n’étais certain qu’avant la fin du siècle les hommes en seront délivrés.

Alors on aura découvert le moyen de traduire ses pensées aussi rapidement qu’elles viendront à l’esprit. — Chacun possédera sa presse typographique et lithographique portatives, perfectionnées au point de reproduire à l’instant des phrases entières. — La sténographie sera tellement simplifiée que tous pourront en comprendre les