Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/138

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je ne changerai plus les draps de ton lit, je ne te donnerai pas cette potion qui pourrait te sauver. Les médecins sont absents, il est nuit ; entre nous et l’éternité il n’y a plus qu’une lampe dont l’huile est presque consumée ; la Mort est ma servante, et je suis ta maîtresse… Confesse-toi ! »

…J’ai passé une année d’ineffable amour à l’hôpital des petits enfants. Oh que je les aimais ! Que j’étais avide de leurs caresses ! Que j’étais heureux de les bercer, de jouer avec leurs 355 cheveux, de laver leurs plaies, d’annoncer à leurs mères que la santé revenait à leurs joues !

Eh bien ! là encore près de ces malheureux enfants, il y avait la compassée, l’implacable, la froide religieuse, raide, sèche comme le tibia d’un saint. Furie, Vengeance en jupe noire, en béguin ! Et combien elles faisaient souffrir ces pauvres petits êtres, les misérables bigotes !

Elles leur laissaient demander pendant des heures entières une cuillerée de sirop, une goutte de tisane rafraîchissante ; elles défendaient aux infirmières de se déranger de leurs saints cantiques pour aller à eux ; elles restaient sourdes à leurs sanglots, à leurs voix défaillantes qui disaient doucement : « Mères, bonnes mères aimées ! j’ai soif, j’ai bien soif, je vais mourir… oh donnez-moi de l’eau ! » — « Nous sauvons notre âme, répondaient-elles, que Dieu sauve ton corps ! »

Et dans un des coins de la salle des plus petits, elles avaient fait dessiner un grand œil ouvert, abominable, taché de sang, avec de larges cils