Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/450

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tonnoirs à petits verres, les culottes de peau qui vieillissent dans les bureaux et les casernes, les réchappés de bagnes, les revenants de potence, les ramassés d’égoûts : délicieuse société dont les plus avisés sont choisis pour former le bureau des mœurs.


Oui, j’en suis là. Et si le représentant du pouvoir sarde en Genevois avait pu se passer la satisfaction de me faire la morale, il m’eût bien certainement reproché mes opinions folles, mes écrits incendiaires qu’il n’a pas daigné lire, et la misanthropie qui me rend insupportable à la partie bien pensante de l’émigration.

Oh pitié ! doux Jésus. Cela parle d’idées, de doctrines, de droit et de devoir ! Et toute leur religion est dans leur estomac, toute leur conscience dans leurs bourses ! Et on les conduirait jusqu’à Saint-Pétersbourg avec un plat écu ! Ils serviraient n’importe qui, ils écriraient n’importe quoi, ils vendraient père et mère, ils mangeraient de leur frère, ils mèneraient violer leur sœur… pourvu qu’on les remplît ! — Cela parle d’honneur, de justice et de liberté !

J’ai vu de riches gourmands nourrir, dans des viviers, des murènes voraces. Ils leur jetaient de la chair humaine meurtrie, 554 verdie qu’elles déchiraient avidement. Mais pour gras que fussent les éleveurs, pour goulus que fussent les poissons qui faisaient ainsi ventrée, les uns et les autres n’offraient pas un spectacle d’ensemble aussi