Page:Cœurderoy - Jours d'exil, tome III.djvu/453

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toutes jambes et recommandent leurs âmes à Dieu.

Quant à moi, je proclame le civilisé de beaucoup supérieur au singe en ce qu’il a la parole pour dissimuler sa pensée, la loi pour protéger ses rapines, le toupet pour ombrager son front chauve, et l’uniforme pour cacher sa laideur.


Le gendarme et l’assommeur sont les maîtres du monde ; pour les autres hommes, ils le sont de leur pipe quand ils l’ont fumée. La nature, l’air, les cieux, les eaux, la terre, les vallées et les montagnes se prosternent devant la Bureaucratie.

Qu’un employé de la sûreté publique vous voie battre son chien, qu’un recors vous surprenne en conversation avec sa femme, que le mode de fonctionner de votre cerveau ne soit pas du goût de M. le commissaire, que l’angle de votre nez avec l’horizon déplaise au plus petit barbouilleur de papier du consulat, faites peur en éternuant à la progéniture de quelque rat-de-cave : c’est bien assez, c’est beaucoup trop. Vous voilà, ipso facto, renvoyé du pays que vous aimiez, de ses îles et dépendances ; votre maison, vos lettres, vos secrets, votre repos sont à la disposition d’un fouilleur de justice ; il peut vous mettre la main sur le collet au milieu d’une fête, à table, au lit, aux côtés de votre femme, de jour et de nuit. Estimez-vous bien heureux encore que le gouvernement longanime ne vous autopsie pas vivant pour s’assurer que vos entrailles ne renferment pas