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DE LA RAISON PURE


empiristes, qui prétendent que toutes nos connaissances dérivent de l’expérience, et celle des noologistes, qui pensent que certaines dérivent d’une source supérieure à l’expérience, Aristote peut être considéré comme le chef des premiers, et Platon, celui des seconds. Dans les temps modernes, Leibnitz a suivi ce dernier, et Locke, le premier ; mais ni l’un ni l’autre n’ont pu arriver à rien décider dans ce débat, et Locke s’est montré peu conséquent : car « après avoir dérivé de l’expérience tous les concepts et tous les principes, il en poussa l’usage jusqu’au point d’affirmer que l’on peut démontrer l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme aussi évidemment qu’aucun théorème mathématique (bien que ces deux objets soient placés tout à fait en dehors des limites de l’expérience possible). »

Enfin, reste le point de vue de la méthode. À ce point de vue, il y a d’abord ceux qui veulent suivre la méthode naturelle, ou, comme Kant les appelle, les naturalistes de la raison, qui pensent que par la raison commune sans science ou par le sens commun tout seul on réussit beaucoup mieux que par la spéculation scientifique dans ces hautes questions de la métaphysique ; mais ceux qui suivent systématiquement cette méthode font preuve d’une grande absurdité, car ils abandonnent précisément tout ce qui est nécessaire pour arriver à une véritable connaissance. Quant à ceux qui reconnaissant la nécessité d’une méthode scientifique, ils se sont divisés jusqu’ici en deux écoles, dont la première a suivi la méthode dogmatique, et la seconde, la méthode sceptique. Wolf, dans les temps modernes, peut être considéré comme le représentant de la première, et David Hume, comme celui de la seconde. Mais il restait une voie intermédiaire : la méthode critique. « Le lecteur, dit Kant (c’est par ces lignes qu’il termine son ouvrage), le lecteur qui a eu la complaisance et la patience de la suivre avec moi, peut juger maintenant. si dans le eas où il lui plairait de concourir à faire de ce sentier une route royale, ce que tant de siècles n’ont pu exécuter, ne pourrait pas être accompli avant la fin de celui-ci, c’est-à-dire si l’on ne pourrait pas satisfaire entièrement la raison humaine dans une matière qui a toujours, mais inutilement jusqu’ici, occupé sa curiosité. »


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