Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/87

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Gay ; ni celle du malheureux tailleur qu’il condamna à passer une nuit entière sous ses fenêtres, dans son jardin aux clôtures dûment verrouillées, pour le punir d’un retard de vingt-quatre heures dans la livraison d’un habit…

Ses paroissiens eux-mêmes n’étaient pas à l’abri

    fatigué… la peau tirée et contractée au-dessus des sourcils par des maux de tête continuels ».
    Vieux avant quarante ans, il ne pouvait se lever ni s’habiller sans aide. Le corps serré dans un corset de toile raide, les jambes emprisonnées dans plusieurs paires de bas, il grelottait, même avec un pourpoint de fourrure sur la peau.
    Si l’on songe qu’il avait de l’asthme, qu’il était hydropique, menacé de la cataracte, torturé de rhumatismes, affligé de constants maux de tête, contre lesquels il employait vainement le café ; qu’il passait plusieurs nuits consécutives sans dormir, ne sommeillant que le jour au coin du feu, on s’étonne qu’il n’ait point eu l’humeur plus chagrine encore.
    La vanité morbide et l’irritabilité de Pope le rendaient incapable de supporter la moindre critique, et prompt à découvrir une injure, soit réelle, soit imaginaire. Très malheureux de sa difformité, il ressentait vivement les railleries qui s’y rapportaient. Aucun coup, d’aussi bas qu’il partît, ne lui était indifférent. Entassées dans son âme, toutes ces insultes y prenaient à la longue de gigantesques proportions.
    Son cerveau travaillait sans cesse. L’excès de travail ayant gravement compromis une santé si précaire déjà, les médecins ne lui laissant bientôt plus aucun espoir, il se prépara à la mort et fit ses adieux à ses amis. Au nombre de ceux-ci se trouvait l’abbé Southcote, qui résolut de le sauver, si c’était possible. Il alla trouver le docteur Radcliffe, lui exposa l’état du malade et rapporta à celui-ci les prescriptions du célèbre médecin : travailler moins et faire plus d’exercice. Une amélioration réelle s’en suivit. Mais bientôt la santé de l’écrivain déclinait de nouveau, et rapidement. Les désordres de toute sorte s’accumulèrent. Pope consulta en vain le docteur Thompson, un célèbre empirique. Ni la science de Cheselden, ni les soins de Martha Blount ne purent prolonger ses jours : il mourut le 30 mai 1744, âgé de cinquante-six ans.