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LE MÉDECIN DE SON HONNEUR.

don gutierre.

Et comment ?

coquin.

Par un moyen à moi connu.

don gutierre.

Et quel moyen ?

coquin.

C’est de ne pas y retourner.

don gutierre.

Finis, misérable.

coquin.

Il n’y a pas de misérable qui tienne. Il est évident que, comme vous êtes sorti sain et sauf de prison, si vous n’y retournez pas, vous en serez sorti sain et sauf.

don gutierre.

Vive Dieu ! sot vilain, tu mériterais mille morts. Quoi ! tu me conseilles une action aussi honteuse, sans considérer ce que je dois à la confiance de l’alcayde ! tu veux que je manque à ma parole ! tu veux que je sois cause qu’il ait trahi la sienne ! — Non, j’irai, j’irai me remettre entre ses mains, et au plus tôt.

coquin.

Je vois que vous ne connaissez pas l’humeur du roi.

don gutierre.

Il n’importe.

coquin.

Quant à moi qui la connais, monseigneur, et qui ne trouve pas de honte à ne pas retourner à la prison, et qui n’ai pas donné ma parole, et pour qui personne n’a donné la sienne, — vous approuverez, je l’espère, que je ne vous accompagne pas cette fois et que je vous laisse aller tout seul.

don gutierre.

Comment ! tu ne reviendrais pas ! tu m’abandonnerais !

coquin.

Vous n’avez pas besoin d’écuyer en prison, je pense.

don gutierre.

Et que dirait-on de toi, malheureux ?

coquin.

Je me moque des discours ! — Voulez-vous, par hasard, que je me laisse mourir par vaine gloire ? pour soutenir ma réputation ? pour que l’on vante ma fidélité quand je ne serai plus là pour jouir de ces éloges ? Fi donc ! — Si l’on vivait deux fois de suite, monseigneur, je ferai volontiers pour vous le sacrifice de ma première vie, je vous le jure ; mais comme on ne vit qu’une fois, et qu’après en voila pour des siècles, je tiens bon, et je vivrai ma vie jusqu’à la fin. Ainsi soit-il !