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LE MÉDECIN DE SON HONNEUR.

cette femme les soins, les assiduités, les flatteries, les caresses et l’amour ; car les reproches, les mépris, les injures, loin de guérir cette femme souffrante, augmenteraient son mal. — En conséquence, cette nuit j’irai secrètement à ma maison, j’y entrerai secrètement, je verrai en secret où en ait la maladie ; et je dissimulerai, s’il est possible, ma peine, ma douleur, mon offense, mon délire et ma jalousie… Ma jalousie, ai-je dit !… Je suis fou ! — Pourquoi un pareil mot est-il tombé de mes lèvres. Il serait capable de me tuer, comme on raconte de la couleuvre que souvent elle a péri de son propre venin ! — De la jalousie ! de la jalousie !… Non ! non !… hélas ! hélas !… quand un mari infortuné a laissé naître dans sa poitrine cet ulcère redoutable, — alors il n’y a plus qu’un seul remède pour celui qui veut être le médecin de son honneur. Partons !

Il sort.

Scène IV.

Une promenade.
Entrent DON ARIAS et DOÑA LÉONOR.
don arias.

Ne pensez point, belle Léonor, que mon absence m’ait fait oublier la dette sacrée que j’ai contractée envers votre réputation. Loin de là, votre débiteur se présente à vous, non pas pour s’acquitter, car il serait trop présomptueux à lui de penser qu’il puisse satisfaire à une pareille obligation, mais pour vous dire qu’il n’a cessé de reconnaître qu’il est et qu’il sera toujours votre débiteur.

doña léonor.

C’est moi, seigneur don Arias, qui suis et qui serai toujours votre obligée ; vous n’en douteriez plus si nous réglions nus comptes. Il est vrai que vous m’avez enlevé un amant qui devait être mon époux ; mais, qui sait ? peut-être que par l’événement vous avez amélioré mon sort ; car il vaut mieux encore pour une femme vivre, comme je vis, sans renommée, que de vivre sous la loi d’un époux qui l’abhorre. Quoi qu’il en soit, je ne me plaindrai jamais de vous ; je ne me plains que de moi et de mon étoile.

don arias.

Je vous en supplie, belle Léonor, ne m’excusez pas ; c’est m’ôter toute espérance. Oui, permettez qu’ici je vous le déclare ; je vous aime, et mon ambition ne prétend a rien moins qu’à réparer le tort que je vous ai causé. Puisque j’ai été la cause de vos peines et que avez perdu un époux par ma faute, je désire vivement que vous consentiez à retrouver en moi un époux.

doña léonor.

Seigneur don Arias, j’estime ainsi que je le dois une offre aussi flatteuse, et j’en conserverai le souvenir précieusement ; mais soufrez que je vous dise avec sincérité qu’il m’est impossible de l’agréer, quelque glorieuse qu’elle me soit. Car si c’est à cause de vous que