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JOURNÉE III, SCÈNE II.

coquin.

Oui, mais comment ?

jacinthe.

Si l’infant quitte Séville, on saurait bientôt les motifs de son départ, et ce serait un affront public pour madame. Il faudrait que madame le priât de rester.

coquin.

Oui, mais l’infant a peut-être déjà le pied dans l’étrier.

jacinthe.

Eh bien ! il faudrait que madame lui écrivît un billet où elle lui dirait qu’il importe à sa renommée qu’il demeure a Séville. Le billet arrivera toujours a temps, si c’est toi qui le portes.

doña mencia.

Les épreuves de l’honneur sont des épreuves périlleuses. N’importe, je vais tenter ce moyen ; j’écrirai. J’ai beau chercher dans mon esprit, je ne vois rien qui me paraisse plus convenable.

Elle sort.
jacinthe.

Qu’as-tu donc depuis quelques jours, Coquin, que tu es si triste ? Toi qui étais si gai, si joyeux ! D’où vient ce changement ?

coquin.

Que veux tu ? je me suis mis à faire l’homme d’esprit, et mal m’en a pris. J’ai été saisi d’une mélancolie qui me tue.

jacinthe.

Mélancolie, dis-tu ? Qu’est-ce donc que la mélancolie ?

coquin.

C’est une espèce de maladie qu’on ne connaissait pas et qui n’existait pas il y a deux ans. Elle est née subitement, je ne sais comme ; elle a gagné de proche en proche, et chacun aujourd’hui prétend en être atteint. On ne voit plus de tous côtés que mélancolie et mélancoliques. — Mais voici mon maître.

jacinthe, à part.

Mon Dieu ! mon Dieu ! je cours avertir ma maîtresse.

Entre DON GUTIERRE.
don gutierre.

Un moment, Jacinthe ; où vas-tu ?

jacinthe.

Où je vais, moi, monseigneur ?

don gutierre.

Ne me réponds pas ainsi par des questions. Où allais-tu ? La vérité !

jacinthe.

La vérité, monseigneur, est bien simple ; j’allais prévenir ma maîtresse de votre arrivée.

don gutierre, à part.

Ô infâmes servantes ! ce sont des ennemis que nous entretenons