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LA DÉVOTION À LA CROIX.

(LA DEVOCION A LA CRUZ.)



NOTICE.


En prenant le mot comédie dans le sens espagnol, pour désigner une pièce de théâtre, nous dirons que la Dévotion à la Croix est une des comédies les plus remarquables qu’ait enfantées le génie de Calderon.

Le sujet en est assez singulier. Voulant célébrer les avantages de la dévotion à la Croix, le poète a imaginé un jeune homme d’un caractère ardent et farouche, livré tout entier à une passion criminelle, et qui, pour l’assouvir, commet tous les crimes ; puis, comme ce jeune homme se trouve placé, dès sa naissance, sous la protection mystérieuse de la Croix, pour laquelle il professe une dévotion toute particulière, il obtient en mourant l’absolution de ses péchés, et il est sauvé.

Certes, voilà pour nous Français du dix-neuvième siècle un sujet de comédie bien bizarre, bien étrange ; et si, avant d’aborder cette lecture, nous n’avons pas la force de nous arracher aux idées sous l’influence desquelles nous vivons, il est difficile qu’une pareille œuvre nous intéresse, ou même qu’elle n’excite pas notre dédain. Mais si vous avez le pouvoir d’oublier pour un moment vos opinions, votre éducation, vos études, Montaigne et Voltaire ; si vous pouvez pour un moment vous dégager de votre esprit critique et de votre scepticisme ; si, par la pensée, vous pouvez vous faire Espagnol, Espagnol du seizième siècle, Espagnol de Philippe II, c’est-à-dire zélé et ardent catholique ; si, abjurant le libre usage de votre raison, vous vous soumettez aveuglément, comme un humble esclave, à la foi ; si vous considérez l’Inquisition comme une institution salutaire, protectrice, et digne de tous vos respects ; si vous approuvez dans votre cœur et l’expulsion des Morisques et la guerre de l’Alpujara ; si vous applaudissez aux secours prêtés à la Ligue, — et au départ de l’Armada qui doit détruire l’hérétique Angleterre, — et à ce fanatisme implacable qui animait les conquérans américains ; en un mot, si, pour juger ce drame, vous vous placez au point de vue du poète, oh ! alors, lisez, — lisez la Dévotion à la Croix, et, je ne crains pas de vous le prédire, vous reconnaîtrez dans cette œuvre un puissant génie, un grand et habile maître.

Le caractère d’Eusebio, le personnage principal, est dessiné avec beaucoup de vérité et de vigueur, et quelques traits de celui de Julia dénotent une connaissance profonde du cœur féminin. Dans la composition l’on remarquera, sans doute, les belles situations de la première journée, la scène du cloître de la seconde, et vers la fin de la troisième, cette scène d’un effet si poétique et en même temps si théâtral, où Eusebio, déjà enseveli, appelle le vieux prêtre pour lui donner l’absolution. Enfin, quant au style, il est merveilleusement en harmonie avec les idées et les sentimens qui dominent dans l’ouvrage, et