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L’ALCADE DE ZALAMÉA.

la dot que je vous cède : mais, en retour, seigneur, rendez-nous l’honneur que vous nous avez ravi. Le vôtre, je crois, n’aura rien à en souffrir ; car si vos enfans perdent quelque chose à m’avoir pour aïeul, ils en seront amplement dédommagés par l’avantage de vous avoir pour père. En Castille, dit le proverbe, c’est le cheval qui porte la selle, et la chose est certaine… (Il se jette aux genoux du capitaine.) Voyez, seigneur, je vous en conjure à genoux, en inondant de pleurs ma barbe blanche et ma poitrine. Et enfin, seigneur, que vous demandé-je ? je vous demande l’honneur que vous-même m’avez enlevé ; et quoique ce soit mon bien, je vous le demande si humblement et avec tant d’instances, que je ne vous demanderais pas autrement quelque chose qui fût à vous… Songez que je pourrais le reprendre de mes propres mains, et je me contenté de le recevoir des vôtres.

le capitaine.

Vieillard ennuyeux et bavard, tu as poussé à bout ma patience. Rendez-moi grâce, toi et ton fils, si je ne vous tue pas de mes mains ; mais la beauté d’Isabelle me désarme. Voulez-vous une réparation l’épée à la main ? je ne demande pas mieux. Préférez-vous vous adresser à la justice ? vous n’avez aucune juridiction sur ma personne.

crespo.

Eh quoi ! seigneur, vous êtes donc insensible à mes larmes ?

le capitaine.

Les pleurs d’un vieillard ne signifient pas plus que ceux d’un enfant ou d’une femme.

crespo.

Quoi ! vous refusez toute consolation à une aussi grande douleur ?

le capitaine.

N’est-ce pas assez que je te laisse la vie ?

crespo.

Voyez, je suis prosterné à vos pieds, et je réclame en pleurant mon honneur.

le capitaine.

Quel ennui !

crespo.

Songez-y, je suis à présent alcade de Zalaméa.

le capitaine.

Tu n’as, je te le répète, aucune juridiction sur moi, et le conseil de guerre m’enverra réclamer.

    clou, et nous vendre, etc. — Ces mots, Una S y un clavo forment une espèce de rébus qui signifie esclavo, esclave. Ce rébus, que les Espagnols emploient dans le langage habituel, semblerait indiquer qu’autrefois en Espagne les esclaves étaient marqués sur quelque partie du corps, d’un S et d’un clou, et que cette marque servait à constater leur condition.