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JOURNÉE II, SCÈNE IV.

don césar.

Non, Camacho ; je soupçonne autre chose. C’est que cette dame est une femme de haut rang, que quelque mésaventure oblige à se tenir cachée ; car le destin souvent persécute la beauté. Ce qui me confirme dans cette opinion, c’est qu’elle ne voulait à aucun prix écarter sa mante ; et si le gouverneur m’a pris en même temps, c’est qu’il aura eu deux avis le même jour. N’as-tu point vu son trouble quand elle allait nous dire qui elle était, et la honte qui a scellé ses lèvres au moment où elle se disposait à nous conter ses malheurs ?

camacho.

Il ne serait pas impossible que vous eussiez raison, après tout. — Et, à ce compte, voilà le grand amour que vous aviez pour Flerida qui est bien loin, n’est-il pas vrai ?

don césar.

Je n’espère pas qu’un premier amour se puisse effacer ainsi du cœur d’un homme. L’expérience nous enseigne qu’une forme ne se grave pas si aisément là où il y avait une autre forme. Un exemple te fera comprendre cela. Lorsqu’un peintre veut esquisser une figure, si sa toile est libre et nette, il y trace des lignes faciles ; mais s’il a esquissé déjà une autre figure sur la toile, il faut qu’il commence par l’effacer, afin que les lignes de la seconde ne se confondent pas avec celles de la première. Tu me comprends maintenant, sans doute. Mon cœur a été une toile libre et nette pour le premier amour ; mais si je veux y introduire un autre amour, il faut que j’attende que la première image, l’image céleste et divine qui s’y était empreinte, s’en soit effacée. Et ainsi, à cette heure, quoiqu’un amour nouveau me tourmente l’esprit, — je ne dessine pas, j’efface.

camacho.

J’aurais beaucoup à vous répondre là-dessus si je voulais.

don césar.

Que répondrais-tu ? voyons.

camacho.

Je répondrais… Mais ce n’est pas le moment ; car voilà une femme recouverte de sa mante qui vient nous voir. Il paraît que nous n’en avons pas encore fini avec les noires intrigues emmantelées[1].


Entre CELIA.
celia.

Écoutez, seigneur Fabio.

  1. « Que aun no hemos acabado
    Con el negro embeleco del tapado. »

    Le mot tapado est de l’invention de Calderon. Pour reproduire autant que possible sa plaisanterie, nous nous sommes permis de fabriquer l’adjectif emmantelé.