Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome I.djvu/379

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Entre CLOTALDO ; il s’arrête derrière la tapisserie.
clotaldo, à part.

C’est à moi qu’il appartient de soumettre l’indomptable Sigismond, puisque je l’ai élevé. Mais que vois-je, ô ciel ?

rosaura, à Sigismond.

Je suis confuse de vos louanges ; mon silence vous répondra mieux que je ne le ferais. Lorsque la raison se trouve intimidée, celui qui parle le mieux, seigneur, c’est celui qui se tait.

sigismond.

De grâce, ne vous éloignez pas. Songez que pour moi votre absence, comme je vous l’ai dit, c’est l’obscurité, ce sont les ténèbres.

rosaura.

Je demande à votre altesse cette permission.

sigismond.

Puisque vous vous en allez de vous-même, vous n’avez rien à demander.

rosaura.

Eh bien ! accordez-moi ce que je vous demande.

sigismond.

Prenez garde de lasser ma courtoisie et de me rendre grossier et brutal ; car tout ce qui me résiste irrite ma patience.

rosaura.

Votre penchant à la colère et à la fureur pourrait être plus fort que votre patience ; mais il n’oserait ni ne pourrait, j’espère, surmonter les égards que vous me devez.

sigismond.

Ne serait-ce que pour vous montrer que je le puis, je suis capable de perdre le respect que je vous dois ; car je suis porté à faire tout ce qu’on me dit être au-delà de mon pouvoir. Aujourd’hui j’ai précipité de cette fenêtre un homme qui me disait que je ne le pourrais pas. Prenez donc garde que, pour voir si je le puis, je ne jette aussi votre honneur par la fenêtre

clotaldo.

Il s’obstine. Que faire ? Comment empêcher que sa fureur insensée n’attente aussi à l’honneur de ma fille ?

rosaura.

Ce n’est pas en vain que l’on craignait que votre tyrannie ne préparât à ce royaume infortuné d’affreux scandales ! ce n’est pas en vain que l’on redoutait de vous des crimes, des trahisons, des assassinats !… Eh ! que pourrait-on attendre d’un homme qui n’a d’humain que le nom, qui est plein d’un orgueil farouche, impitoyable, et qui a été élevé parmi les bêtes sauvages ?

sigismond.

Je voulais vous empêcher de prononcer ces injures, et c’est pour cela que je vous parlais avec courtoisie, pensant que je commandais