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LA VIE EST UN SONGE.

premier soldat.

Qui est Sigismond ?

sigismond.

C’est moi.

deuxième soldat, à Clairon.

Comment donc, misérable imposteur, te faisais-tu passer pour Sigismond ?

clairon.

Je le nie ! Ce n’est pas moi qui me suis dit Sigismond, c’est vous qui m’avez ensigismondé[1] ; et par conséquent la faute en est à vous, non à moi.

premier soldat.

Noble prince Sigismond, la bannière que vous voyez est la vôtre, et nous venons vous acclamer comme notre seigneur légitime[2]. Votre père le grand roi Basilio, craignant que le ciel n’accomplisse une prédiction qui le menace de se voir vaincu et humilié par vous, prétend vous ôter le droit de lui succéder et le transmettre au prince Astolfe, duc de Moscovie. Il a dans ce but assemblé ses états. Mais le peuple, qui sait fort bien qu’il a un roi légitime, ne veut pas qu’un étranger le gouverne ; et c’est pourquoi, dédaignant noblement un horoscope funeste, il est venu vous chercher dans cette prison, vous délivrer, et vous offrir son aide pour que vous repreniez à un tyran votre couronne et votre sceptre. Venez donc : une armée nombreuse de bannis et de plébéiens assemblée dans ce désert vous attend et vous appelle. N’entendez-vous pas leurs cris et leurs acclamations ?

soldats, du dehors.

Vive, vive Sigismond !

sigismond.

Qu’est-ce donc, grand Dieu !… Vous voulez qu’une fois encore je rêve des grandeurs qui s’évanouiront le lendemain ! Vous voulez qu’une fois encore mes yeux aperçoivent je ne sais quelle vaine apparence de majesté et de pompe qui va disparaître au moindre souffle ! Vous voulez qu’une fois encore je m’expose à un pareil désenchantement, et que je coure ces dangers inséparables du pouvoir ! non, cela ne peut pas être, cela ne sera pas… Regardez-moi désormais comme un homme soumis à sa fortune ; et puisque je sais maintenant que la vie n’est qu’un rêve, disparaissez, vains fantômes, qui, pour m’abuser, avez pris une voix et un corps, et qui n’avez en réalité ni corps ni voix ! Je ne veux point d’une majesté fantastique, je ne veux point d’une pompe menteuse, je ne veux point de ces illusions qui tombent au premier souffle, — semblables à la fleur

  1. Nous avons été obligé de forger ce mot pour reproduire l’espagnol :
    Vosotros fuisteis los que
    Me Segismundeasteis.
  2. Te aclamamos señor nuestro.