Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome I.djvu/401

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
367
JOURNÉE III, SCÈNE III.

j’avais droit, pensant que, comme elle, je l’aurais attendue vainement ; elle me conseilla de chercher par moi-même à rétablir mon honneur, en venant à la poursuite de celui qui m’avait abandonnée. Donc, après m’avoir fait revêtir des habits d’homme, lesquels lui semblaient mieux convenir à mon entreprise, elle dépendit de la muraille une vieille épée… (elle tire son épée) c’est cette épée dont je vous parlais tout à l’heure et qu’il est temps de sortir du fourreau… elle me la donna en me disant : « Rends-toi en Pologne, et fais en sorte que les seigneurs les plus nobles te voient cette épée ; quelqu’un d’eux, en la voyant, t’accordera sa bienveillance et sa protection. » Je vins donc en Pologne ; et je n’ai pas besoin de vous dire qu’à peine y fus-je arrivée, mon cheval, qui avait pris le mors aux dents, m’emporta jusque près de l’endroit où vous étiez enfermé et où vous fûtes si étonné de me voir. Mais ce que vous ne savez pas, c’est que Clotaldo, qui d’abord s’était passionné pour ma cause, qui avait demandé ma grâce au roi, et qui m’avait placée comme dame auprès d’Estrella pour qu’il me fût plus facile d’empêcher son mariage, — Clotaldo, persuadé maintenant qu’il importe au bien du royaume qu’Astolfe épouse la princesse, me conseille de renoncer à mes prétentions, ce qui est contre mon honneur. Pour moi, noble et vaillant Sigismond, joyeuse de ce qu’enfin sorti de cette horrible prison où s’écoulait tristement votre existence, vous avez pris les armes contre un père tyrannique et cruel, je viens vous offrir mon concours ; je viens, nouvelle Pallas, offrir à un nouveau Mars mon bras et mon épée. Marchons donc, noble et vaillant héros, marchons sans retard ; car il nous importe à tous deux d’empêcher ce mariage : à moi, pour que le prince n’épouse pas une autre femme ; à vous, parce que la réunion de leurs royaumes et de leurs forces vous rendrait plus difficile la victoire… Femme, je viens vous prier de m’aider à recouvrer mon honneur ; homme, je viens vous exciter à recouvrer votre couronne… femme, je viens attendrir un cœur qui ne peut pas être insensible à ma prière homme, je viens vous servir de mon courage et de mes armes. Et c’est pourquoi, pensez-y bien, si vous veniez à m’inspirer de l’amour comme à une femme, pour défendre mon honneur, comme un homme, je vous donnerais la mort ; car si, pour la faiblesse et la plainte, je suis une femme, je suis un homme pour venger mon honneur.

sigismond, à part.

Ô ciel ! si tout cela n’est qu’un rêve, donne-moi le pouvoir d’en conserver le souvenir, car j’aurais peine à me rappeler tout ce que j’ai entendu dans ce rêve !… Que Dieu me soit en aide ! Comment sortir de toutes ces difficultés qui m’assiègent, ou comment en distraire ma pensée ?… Quelle peine ! quel doute ! Si cette grandeur où je me suis vu un moment n’a été qu’un rêve, comment se fait-il que cette femme m’en donne des renseignements si précis ? Ç’a donc été la vérité et non pas un rêve… Et si cela est la vérité, — autre