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JOURNÉE I, SCÈNE II.

marcela.

Qu’y a-t-il donc ?

silvia.

Il cause avec notre hôte, et vous savez que mon maître ne veut pas que vous vous rencontriez avec lui.

marcela.

Hélas ! oui, malheureusement… Eh bien ! alors, demeurons ici un moment. Je suis curieuse de savoir ce qu’ils ont à se dire.

lisardo, à don Félix.

En attendant qu’il soit l’heure de vous présenter chez votre belle, voulez-vous, selon nos conventions, que je vous conte mes soucis comme vous m’avez conté les vôtres ? Écoutez-moi.

marcela.

Écoutons-le, Silvia.

silvia.

J’écoute, madame.

lisardo.

Après que j’eus échangé mon habit d’étudiant contre celui de soldat, ma plume contre une épée, et les travaux paisibles de l’école de Salamanque contre les travaux bruyans de la campagne de Flandre ; — après que j’eus obtenu une compagnie, sans autres protecteurs que mes services ; la campagne finie, — car cette idée ne me serait point venue auparavant, je demandai un congé et repartis pour l’Espagne. Je voulais solliciter l’honneur d’une de ces croix qui brillent si noblement sur la poitrine d’un homme d’armes. Tel était le but de mon voyage à Madrid. Là, Sa Majesté, — que le ciel la protège et prolonge ses jours, de sorte qu’elle soit le phénix de notre âge ! — Sa Majesté remit la lecture de mon placet au temps où elle serait plus tranquille et plus libre, en sa maison de plaisance d’Aranjuez. J’y suivis la cour, et, je l’avoue, plutôt pour mon plaisir que par nécessité ; car le roi se sert aujourd’hui de tels ministres qu’avec eux le mérite n’a pas besoin d’appui, parce que chacun d’eux est à tous et à tout. J’arrivai donc à Aranjuez. Vous m’y vîntes visiter à mon hôtellerie. Voyant que j’étais assez mal logé, et qu’il n’y avait pas moyen que je fusse mieux à cause de la foule de gens qui encombrent la ville à cette époque, vous m’avez pressé de nous accompagner à Ocaña. Il m’était malaisé de refuser une aussi aimable invitation. Ocaña, me disiez-vous, n’est qu’à deux lieues d’Aranjuez, et les jours d’audience il vous sera facile d’y aller le matin et d’en revenir le soir. J’ai cédé, j’ai obéi… Votre amitié sait tout cela ; mais j’avais besoin de ce préambule pour arriver à une nouvelle d’amour plus merveilleuse peut-être que toutes celles que Cervantes a racontées[1].

  1. Calderon ne manque jamais l’occasion de rappeler d’une manière flatteuse le nom de Cervantes.