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JOURNÉE II, SCÈNE I.

lisardo.

Je vous entends, madame.

marcela.

Cela est-il vrai ?

lisardo.

Parfaitement vrai.

marcela.

Et… que dites-vous ?

lisardo.

Je dis, madame, que je ne chercherai pas à m’excuser, quoique cela me fût facile ; car, madame, auprès d’une femme qui est si bien au fait de ce qui me concerne dans un pays où je suis étranger, — d’une femme qui se cache à ce point d’un homme avec lequel je suis ami, — d’une femme qui tient dans la maison de cet homme une suivante qui lui rapporte mes discours, — je n’ai plus qu’à me taire et à me retirer ; car, madame, avant d’être votre galant, j’étais l’ami de don Félix. Souffrez que je m’éloigne.

marcela.

Un moment, s’il vous plaît, de grâce.

lisardo.

J’obéis, madame. (À part.) Maudit soit l’homme qui trahit l’amitié !

marcela.

Je m’aperçois, seigneur cavalier, qu’aux détails que je vous donne vous soupçonnez que je suis la dame de don Félix. Eh bien ! vous êtes dans l’erreur. Vous me croirez, si vous croyez à quelque chose : non seulement je ne suis pas, mais il est impossible que je sois jamais sa dame.

lisardo.

Alors, madame, qui vous aurait appris mon nom ? qui vous aurait si bien mise au courant de mes affaires ? Par qui avez-vous su si bien à point ce que nous avons dit dans sa chambre nous deux ?

marcela.

Pour lever tous vos doutes, qu’il suffise de vous répondre que je suis l’amie d’une noble et belle dame qu’il aime. Tout-à-l’heure elle m’a parlé de lui, et de vous par occasion, et m’a fait part de ce qu’elle tenait de don Félix. Car, bien que votre ami soit un digne cavalier, vous savez qu’il n’y a de secret bien gardé que le secret qu’on ne sait pas… — Et maintenant je vous prie de ne pas lui achever votre histoire ; qu’il n’ait pas de vous sur mon compte de nouveaux renseignemens ; qu’il ignore que nous nous sommes vus et que vous connaissez ma maison. — Car, s’il faut vous le dire, la moindre indiscrétion de votre part expose mon honneur, ou, tout au moins, ma vie.

lisardo.

Tous mes doutes sont dissipés, madame, soyez-en certaine ; mais