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MAISON À DEUX PORTES.

calabazas.

La condition est dure ; mais enfin, puisque vous le voulez, j’y souscris. Tant pis pour vous !

lisardo.

La dame mystérieuse m’ayant invité par un billet à me rendre chez elle, j’y suis allé. Sa suivante est venue me prendre à la porte : nous avons traversé un jardin ; et enfin, dans une chambre, j’ai trouvé cette dame, plus belle, plus charmante que jamais. Dès l’abord, elle a commencé à m’adresser quelques reproches sur je ne sais plus quoi, lorsque son père a frappé à la porte. On m’a mis aussitôt dans une pièce voisine. J’étais là depuis une heure environ, lorsque après quelques conversations que j’ai entendues d’une manière confuse, un homme a entr’ouvert la porte. Je me suis couvert de mon manteau et j’ai porté la main sur mon épée. Presque au même instant, une femme s’est approchée devant cet homme, et la porte entr’ouverte s’est refermée. Tout cela s’est fait si vite que je n’ai pas eu le temps de voir le visage de cet homme. Un moment après, une autre suivante, qui m’a paru assez troublée, est venue me tirer de là secrètement, et m’a reconduit secrètement jusqu’à la rue, en ne cessant de me prier de ne parler de rien à don Félix… Et maintenant, me voilà inquiet, irrésolu, et ne sachant que faire. Car si cette dame est sa maîtresse, comme je le soupçonne, et que je lui taise mon aventure, c’est bien mal récompenser son amitié, son hospitalité ; d’autre part, si je la lui confie, et que cette dame ne soit point sa maîtresse, comme cela est possible enfin, je trahis alors lâchement une femme dont je suis aimé et que j’aime. Ainsi, ne pouvant ni me taire ni parler sans risque, le mieux est, ce me semble, d’éviter ces deux périls, de partir. Je n’ai que ce moyen de ne pas offenser don Félix par mon silence, et cette dame par une indiscrétion. En conséquence, prépare nos effets pour le départ ; je veux m’en aller avant le jour, quoique je laisse à Ocaña et mon cœur et mon âme.

calabazas.

Sur ma foi ! c’est une résolution qui vous fait honneur.

lisardo.

Puisque tu l’approuves, Calabazas, je te donne l’habit que tu con voitais ce matin du coin de l’œil.

calabazas.

À moi, monseigneur, votre habit ?

lisardo.

Oui, Calabazas.

calabazas.

Je vous baise les mains et les pieds, seigneur. Et cela, ce n’est pas tant parce que vous me donnez l’étoffe d’un habit, quoique ce soit déjà un beau cadeau, que parce que vous me donnez l’habit tout fait, pendant que celui ou celle qui doit me remettre vos effets,