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MAISON À DEUX PORTES.

marcela.

Une femme ! vraiment ?

don félix.

Oui.

marcela.

Quelle horreur !

don félix.

Cette femme devait être ici avec Lisardo. Je lui en ai parlé. Lui, en homme discret et délicat, craignant d’avoir manqué par là aux égards qu’il doit à ma maison, il prétend qu’il ignorait la chose. Quoi qu’il en soit, — et d’ailleurs personne ne peut le dire, — Laura, jalouse, ne veut recevoir de moi ni explications ni excuses. Moi, de mon côté, pour ne pas lui montrer mon chagrin, je ne veux pas la voir ; mais je désirerais être tenu au courant de toute sa conduite, et même, autant que possible, de ses moindres pensées. À cet effet, à force de me tourmenter l’esprit, j’ai imaginé une ruse.

marcela.

Et quelle est-elle ?

don félix.

Elle exige votre concours. Vous me le prêterez, n’est-il pas vrai ?

marcela.

Voyons d’abord de quoi il s’agit.

don félix.

C’est que, ma sœur, vous feigniez que nous avons eu ensemble une grande querelle ; qu’à la suite nous nous sommes brouillés ; et qu’en attendant que cela s’arrange, vous avez à cœur de demeurer chez elle. Elle ne vous refusera pas, j’en suis certain. Et vous, une fois là, vous tâcherez, soit par ses confidences, soit par vos propres observations, de découvrir quel est cet homme ; — puis vous m’en informerez en secret.

marcela.

Il y aurait beaucoup de choses a dire à l’encontre de ce dessein, et…

don félix.

Ne le repoussez pas, je vous prie.

marcela.

Pour vous prouver tout mon attachement, j’irai chez elle dès aujourd’hui.

don félix.

Aujourd’hui ? non, cela ne se peut ; car, soit qu’elle ait voulu par là me braver, soit qu’elle ait voulu dissimuler ses ennuis, elle est sortie ce matin pour aller a la mer d’Antigola[1].

marcela.

Eh bien ! j’irai demain. Êtes-vous content ?

  1. La mer d’Antigola est un lac d’une assez médiocre étendue, à une demi-lieue d’Aranjuez, sur la route d’Ocaña.