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JOURNÉE II, SCÈNE I.

prépare à porter la guerre en Afrique. Il n’y a pas un cavalier qui demeure en Portugal ; tous se sont réveillés à l’appel de la gloire. J’aurais désiré l’accompagner à cette expédition ; mais me voyant marié, je n’ai pas voulu m’offrir avant d’en avoir obtenu la permission de votre bouche, ma Léonor. Ce sera un plaisir et un honneur que je vous devrai.

léonor.

Ayant à me confier un tel projet, il était nécessaire que vous me donnassiez par vos paroles la force et l’énergie qui me manquent… Vous conseiller de partir, mon cher seigneur, ce serait prononcer moi-même mon arrêt de mort. Allez sans que ma bouche vous le dise, car la volonté ne saurait vous refuser ce que le dévouement vous accorde… Mais non ; afin que vous voyiez si j’estime votre inclination guerrière, je ne veux plus que ce soit l’amour, mais le courage qui m’inspire. Donc, ainsi que vous le devez, servez dès aujourd’hui don Sébastien, — de qui le ciel prolonge les jours ! — car le sang des nobles est le patrimoine des rois. Je ne veux pas qu’il soit dit que les femmes sont craintives et qu’elles affaiblissent la vaillance des hommes, lorsqu’elles devraient au contraire l’exciter… Voilà ce que mon cœur vous conseille, quoiqu’il vous aime tendrement ; mais il vous parle comme si vous étiez un autre, et il ne sent que trop que c’est à vous qu’il parle ainsi.

Elle sort.
don lope.

Avez-vous jamais vu une pareille valeur ?

don juan.

En vérité, elle est digne que la renommée la célèbre au loin.

don lope.

Et vous, que me conseillez-vous ?

don juan.

Moi, don Lope, je vous conseillerais autrement.

don lope.

Parlez.

don juan.

Celui qui vit dans les loisirs de la paix, heureux et tranquille, après avoir déposé ses armes glorieuses, à quoi bon nettoierait-il la poussière qui les couvre ?… Il eût été juste que je me fusse offert pour cette expédition, moi, don Lope, si mes malheurs ne me condamnaient à la retraite ; mais je suis forcé de me tenir à l’écart, parce qu’il ne sied pas à un coupable de se présenter aux yeux de son roi… Si telle est mon excuse, la vôtre, — c’est vos anciens services… La réputation que vous avez acquise vous suffit… Ne partez pas, mon ami, non, ne partez pas ; croyez-m’en, quoiqu’un homme vous retienne et qu’une femme vous encourage.

Il sort.
don lope.

Dieu me protège !… Puissé-je me donner moi-même un conseil