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LE GEÔLIER DE SOI-MÊME.

frédéric.

Non, non, plutôt mourir mille fois.

le capitaine, à part.

Quelle confusion !… Cet homme est vraiment singulier ! (Haut.) Écoutez-moi, de grâce, et ensuite vous saurez ce que je veux.

frédéric.

Parlez donc.

le capitaine.

Eh bien ! j’ai arrêté dans la forêt le prince Frédéric, je vous l’amène prisonnier, et je vais le confier à votre garde.

frédéric.

Fort bien !… C’est que, seigneur, comme je vous ai vu arriver dans une certaine agitation et demandant après moi, je ne savais ce que vous pouviez me vouloir, et cela m’a ému.

hélène.

Qu’ai-je entendu ?… Frédéric est pris !

le capitaine.

Oui, madame ; et le roi vous l’envoie pour que vous le gardiez. On l’amène dans un carrosse fermé, afin que personne ne le voie ; car le peuple, qui admire son courage, pourrait se portera quelque mouvement. — Suivez-moi donc, je vous prie, seigneur gouverneur ; je vais vous le remettre, et vous vous engagerez sous serment à ne pas le laisser échapper.

frédéric.

Ce serment, je puis le prêter ici même. Je jure sur l’honneur, je donne ma parole inviolable que je garderai le prince Frédéric avec le même soin, le même zèle, la même attention avec laquelle je me garde moi-même. Son salut est pour moi d’une telle importance, que, s’il m’est permis d’employer cette expression, je veux courir même fortune avec lui. Je vous promets donc, vive Dieu ! que je ne le perdrai pas de vue un seul instant.

le capitaine.

Je reçois votre serment. Maintenant, venez ; hâtons-nous, afin, comme je vous l’ai dit, que personne ne le voie. Vous seule, madame, pouvez venir le voir ; et votre regard seul sera l’arrêt du coupable.

hélène.

Oui, si le ressentiment qui remplit mon cœur pouvait passer dans mes yeux et dans mon langage, j’irais le voir, j’irais lui parler, — parce que d’un regard je confondrais le traître, et d’un mot je le tuerais. Mais je n’y veux pas aller. Espagnol, c’est à vous que je confie cet homme ; je compte sur votre loyauté ; je remets en vos mains ma vengeance et mon honneur.

frédéric.

Soyez tranquille, madame, je le garderai comme moi-même.