Page:Calderón - Théâtre, trad. Hinard, tome II.djvu/339

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
329
JOURNÉE III, SCÈNE II.

benito.

Ah ! oui, il faut bien que cela soit ainsi ; mais que je meure si je sais d’où m’est venue cette principauté[1]. Et encore on ne veut pas que je dise que je suis ici dans mon pays, et que d’ici, de derrière ces vitres et ces jalousies, je vois le village de Belflor !… Dieu me soit en aide ! cette maison là-bas n’est-ce pas celle d’Antonio et de Juana ? et cette petite par ici n’est-ce pas celle de Laurent et de Bartola ? et cette autre, un peu plus loin, n’est-ce pas celle de Ginès et de Marina ?… Ce petit drôle qui s’en va du côté de la taverne, n’est-ce pas celui qu’on dit fils du sacristain et de Llocia ? Je crois, ma foi, qu’on a raison… Eh ! mon Dieu, n’aperçois-je pas derrière le rideau de sa boutique le barbier qui racle sa guitare, si bien que je l’entends, et même que je distingue l’air des Folies[2] ?… Mais je suis bien bon de m’inquiéter de ça… je mange de bons poulets à mes repas, je dors dans un lit bien mou, je m’habille avec des habits de soie ; eh bien ! que m’importe d’où cela me vient ? Mensonge ou vérité, je ne suis pas si malheureux d’être Frère-le-Ric de Cécile[3].

roberto.

Laissons-le seul, car le voilà dans un accès de mélancolie. (Les Musiciens sortent.) Ah ça, qu’as tu donc, imbécile ? qu’as-tu donc à te plaindre ? N’es-tu pas mieux traité que tu ne le mérites ? Que te faut-il encore ?

benito.

Je m’y attendais : on vient de me laisser seul avec vous. Quand nous sommes seuls, alors il faut que je paye vos soumissions, vos révérences, vos complaisances et vos seigneuries. Quand je dîne et qu’il y a là du monde, vous me servez de la façon la plus respectueuse, et quand le monde est parti, vous me bourrez d’injures et de rebuffades.

roberto.

Ne devrais-tu pas être content du partage ? — Quand je te fais l’honneur de te servir une moitié de la journée, tu peux bien me servir à ton tour le reste du temps.

benito.

Oui, mais il n’est pas nécessaire pour ça que vous me donniez des coups. (À part.) Il me vient une bonne idée… je pourrai me venger de lui quand il y aura du monde.


Entre FRÉDÉRIC.
frédéric.

Noble et généreux prince, remerciez-moi pour la bonne nouvelle

  1. .....Esta principia
    Me ha venido no se como.

    Le mot principia n’est pas espagnol. Principauté se dit principado.

  2. Les Folies d’Espagne
  3. No me va muy mas con ser
    Fray Francisco de Sencilla.