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LE PIRE N’EST PAS TOUJOURS CERTAIN.

don carlos.

Ciel clément, tirez-moi de tant de peines !

don juan.

Ciel puissant, sauvez-moi de ces dangers !


Scène III.

Une rue devant la maison de dou Juan.
Entrent DON DIÈGUE et GINÈS
don diègue.

Marche donc.

ginès.

Je ne puis.

don diègue.

Pourquoi ?

ginès.

Parce que la meilleure raison pour ne pas marcher, c’est d’avoir le pied cassé ou foulé.

don diègue.

Que Dieu te soit en aide ! Tu es bien douillet !

ginès.

Que Dieu me soit en aide ! cela vous est bon à dire, et ça me rappelle un conte assez piquant. — Un jour un Portugais tomba dans un puits ; ce que voyant, un homme s’écria : « Dieu te soit en aide ! » À quoi l’autre, du fond du puits : « Il n’est plus temps ! » Vous voyez l’application, cela va comme un gant à mon histoire ; car cela revient au même de tomber au fond d’un puits ou de tomber du haut d’un balcon.

don diègue.

Et moi, n’ai-je pas sauté comme toi ?

ginès.

Que voulez-vous ? vous, vous n’êtes pas cassant, et moi je suis fragile comme verre.

don diègue.

Non pas ! mais tu es fort maladroit.

ginès.

Point du tout ! c’est que ce qui est bon pour l’un est mauvais pour l’autre. — Un jour un moine mourant de faim, harassé de fatigue, arriva dans une auberge et demanda à l’hôtesse ce qu’elle pouvait lui donner pour souper. « Rien, fit-elle, à moins que je ne tue une poule. » — « C’est que, dit-il, ce n’est pas le tout de la tuer ; pourra-t-elle se manger ? » — « Ne vous inquiétez pas, répliqua l’hôtesse ; je sais un secret excellent pour l’attendrir. » Et en effet, prenant la poule avant que de la tuer, elle lui grilla les pieds ; après quoi ladite poule parut fort tendre au révérend père, qui peut-être attribuait à l’opération ce qui pouvait venir de son appétit. Sur ce, il