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BONHEUR ET MALHEUR DU NOM.

don félix.

Il n’y a qu’à lui écrire un mot.

don césar.

C’est impossible. Je ne pourrais lui écrire que par une sienne suivante qui vient chez moi ; et avec la pensée où elle sera que je pars, elle ne viendra pas me voir de sitôt.

don félix.

Eh bien ! vous avez votre ordonnance de payement ; et avec cela votre valet pourra se présenter chez elle sans péril.

don césar.

Ne le croyez pas. Depuis la fin tragique de son neveu, le seigneur Aurelio, qui ne s’occupe plus de mon amour ni de ma jalousie, songe toujours à sa vengeance, et s’il voyait dans sa maison un de mes gens, je crains qu’avant de s’informer de l’objet de sa venue, il ne se portât contre lui à quelque extrémité.

don félix.

Il me vient une idée. Nous n’avons qu’à envoyer Tristan, qui, avec sa prudence, son esprit et son adresse ordinaire, détournera aisément tous les soupçons.

tristan.

Je ne pourrai jamais.

don félix.

Que crains-tu donc ?

tristan.

On doit toujours craindre les soupçons d’un homme d’honneur[1].

don césar.

Puisque tu vas de ma part, le désagrément serait pour moi.

tristan.

En voilà une bonne ! J’ai une histoire qui revient à ce propos. Un jour, un inspecteur de police assez mal parfumé se présenta devant son corrégidor, et lui dit en poussant des cris de fureur : « Une servante a exhibé avant l’heure voulue son vase de nuit, et tandis que je dressais le procès-verbal, une autre servante a vidé sur ma propre personne le vase en question. Comme en ce moment j’écrivais d’après vos ordres, ce n’est pas à moi que l’on a fait cela, c’est à vous. » Sur quoi le corrégidor lui répondit d’un ton sévère : « Eh bien ! maraud, qui vous permet de vous offenser des injures que l’on me fait ? » D’après cela, si l’on me donne du bâton la-bas, et que je revienne à demi mort, comme ce sera vous qui aurez reçu cette injure, vous pourrez me faire la même réponse.

  1. Encore ici une grâce qu’il nous a été impossible de reproduire. Le verbe espagnol desmentir, qui isolé signifie donner un démenti, quand il est placé devant le mot sospechas, signifie détourner des soupçons. De là la plaisanterie de Tristan, qui fait semblant de comprendre qu’on le charge de porter un démenti à Aurelio.