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JOURNÉE I, SCÈNE I.

serai obligé de t’en donner un autre. Jean-Baptiste te rend des soins, et, dans mon opinion, il n’est pas fait pour être ton époux : je me contente de m’exprimer ainsi, pour ne pas dire qu’il est juif. Voilà pourquoi j’ai quitte Salvatierra et suis venu m’établir dans cette maison isolée au milieu des montagnes. Ici même, je le vois, tu n’es pas à l’abri de ses poursuites, puisqu’il t’a envoyé une lettre par ce domestique : c’est pour cette raison que je voulais le tuer ; tu es arrivée en ce moment, et dans ma colère je t’ai dit ce que je t’avais si long-temps caché. Que cet avertissement te suffise, je te le répète, et que je n’entende plus parler de cet amour ; car, vive Dieu ! si j’apprenais jamais qu’on ait su que je soupçonnais le mal et que je n’y ai pas porté remède, dans ma fureur, dans mon désespoir, je mettrais le feu à sa maison de manière à l’y brûler tout vif, et j’épargnerais ainsi les frais d’un bûcher à l’inquisition.

isabelle.

Voilà bien les discours d’un homme aveuglé par la colère. Avant de savoir si je puis ou non me justifier, tu m’accuses d’une faute que je n’ai pas commise.

louis.

Que dis-tu ?

isabelle.

Que toutes les femmes, même les plus modestes, sont exposées à de semblables ennuis, et nous ne sommes pas responsables des folies que l’on fait pour nous.

louis.

Ce serait à merveille, ma sœur, et tu aurais raison, si ce papier ne me donnait pas des soupçons et même des indices que toi-même…

isabelle.

Laissons cela ; en voilà bien assez sur ce sujet. Que me veux-tu enfin ? Songe, Louis, que tu es mon frère, et non pas mon mari ; et qu’en pareille circonstance, un homme raisonnable et prudent eût accepté pour bonne la première explication qu’on lui aurait donnée ; car ne vaut-il pas mieux, lorsqu’on ne peut remédier au mal, ne vaut-il pas mieux, dis-je, avoir l’air de l’ignorer que de chercher à l’approfondir ? Je suis ta sœur, et je connais mes devoirs. — Je me contente de te dire cela pour aujourd’hui. Si tu revenais sur ce sujet, je te parlerais d’une autre façon.

Elle sort avec Casilda.
louis.

Elle a raison. Oui, j’aurais mieux fait de dissimuler mon injure et d’accepter sa justification, sauf à croire ce que j’aurais voulu. J’ai eu tort. Maintenant il faut procéder d’une autre manière. Ah ! cruelle sœur, tu seras la cause de ma mort !