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JOURNÉE I, SCÈNE I.

don louis.

Non, madame, ce n’est pas don Juan ; si c’était lui, je ne serais pas aussi tranquille. Rassurez-vous. Il serait affreux pour un mal imaginaire que vous eussiez, vous, de l’inquiétude, et que j’eusse, moi, la douleur de vous l’avoir causée.

béatrix.

Je vous remercie. — Vous savez, seigneur don Louis, que j’estime vos soins, mais je ne puis les reconnaître. Mon étoile ne l’a pas permis. Et si ce qu’il y a de plus rare est ce que l’on doit le plus estimer, sachez-moi gré de ma franchise comme d’une chose qui aujourd’hui ne se trouve pas aisément à la cour. — Adieu.

Elle sort avec Clara.
don louis.

Adieu madame. — Rien ne me réussit aujourd’hui, Rodrigue. Je rencontre une dame dont la tournure me plaît, je cherche à la connaître : me voila arrêté dans ma poursuite par un sot valet, et par un duel qui ne l’est pas moins. Je me bats, mon frère arrive, et voilà que le cavalier qui m’a insulté est son ami. Il me laisse ici pour l’excuser auprès d’une dame, et cette dame précisément se trouve être une beauté qui me coûte mille soucis. Tu le vois, je n’ai pas à me louer de la fortune.

rodrigue.

De tous ces ennuis, je parierais bien deviner celui qui vous est le plus sensible.

don louis.

Non, tu ne le soupçonnes pas.

rodrigue.

Ne serait-ce pas la préférence de Béatrix pour votre frère ?

don louis.

Mon Dieu, non. À te dire la vérité, et je ne la dirais qu’à toi seul, ce qui m’afflige le plus, c’est l’imprudence avec laquelle mon frère a offert l’hospitalité à un jeune homme, lorsque nous avons dans la maison une sœur qui est la veuve la plus charmante de la cour… D’autant que, tu ne l’ignores pas, elle vit chez nous en grand secret, ne recevant d’autres visites que celles de Béatrix, à cause de la parenté.

rodrigue.

Je sais que son mari était administrateur d’un revenu royal dans un port de mer[1], et qu’à sa mort il était redevable au roi de sommes assez considérables. Je sais aussi qu’elle est venue à la cour pour arranger secrètement ses affaires. Mais voilà ce qui, selon moi, excuse don Manuel. Car si vous voulez y réfléchir, puisque la situation même de doña Angela exige qu’elle ne voie personne, qu’elle se cache à tous les yeux, quel inconvénient y a-t-il à ce que votre

  1. Quelque chose comme serait chez nous un receveur des douanes.