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L’ESPRIT FOLLET.

la barrière… la garde empêchait d’approcher les carrosses et les hommes à cheval. Je me suis dirigé vers un cercle d’amis à moi, que j’ai tous trouvés enchantés de la conversation qu’ils avaient avec une femme voilée. Ils vantaient tous son esprit et sa grâce. Mais dès que j’arrivai elle ne prononça plus un seul mot ; et ce fut au point que quelqu’un lui demanda si ma présence l’avait rendue muette. Cela piqua ma curiosité. Je voulus voir si je connaissais la dame ; mais il me fut impossible d’y parvenir : elle se couvrait de son voile avec des soins, des précautions infinies. Aussitôt, je résolus de la suivre. Elle, en marchant, ne cessait de se retourner pour voir si je la suivais ; ce qui excitait encore ma curiosité. Or, chemin faisant, arrive à moi un malotru, le valet de notre hôte, me demandant de lui lire la suscription d’une lettre. Je lui répondis que je n’en avais pas le loisir… J’étais d’ailleurs persuadé que c’était un prétexte pour m’arrêter, car la dame lui avait parlé en passant… Quoi qu’il en soit, il s’obstine, et m’oblige à le rudoyer. Sur ce, paraît notre hôte, qui prend la défense de son valet, et nous avons tiré l’épée. Cela aurait pu finir plus mal encore.

angela.

Maudite femme ! à quel danger elle vous a exposé ! Je suis sûre qu’elle ne vous connaissait point, et qu’elle voulait seulement être suivie. Aussi, mon frère, je suis en droit de vous répéter mes conseils : Prenez bien garde aux connaissances de cette espèce. Les hommes n’ont jamais lieu de s’en louer.

don louis.

Et vous, ma sœur, où avez-vous passé la soirée ?

angela.

Je suis restée à la maison, sans autre distraction que mes larmes.

don louis.

Notre frère vous a-t-il vue ?

angela.

Depuis ce matin il n’est pas entré ici.

don louis.

Combien je suis désolé qu’il vous néglige ainsi !

angela.

Il ne faut pas y faire attention. Cela n’en vaut pas la peine, et nous-mêmes nous devons quelque indulgence à notre frère aîné.

don louis.

C’était pour vous que je m’en affligeais. Mais puisque cela ne vous chagrine pas, je lui pardonne aisément. Et afin que vous voyiez bien que je n’ai rien contre don Manuel, je vais de ce pas le trouver, et même je veux lui faire une galanterie.

Il sort.
isabelle.

Eh bien, madame, que dites-vous de tout ce qui arrive ? La