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LOUIS PEREZ DE GALICE.


Scène III.

La rive opposée du Miño, en Portugal.
Entrent L’AMIRAL et DOÑA LÉONOR.
l’amiral.

Puisque la chaleur rigoureuse de la canicule ne se suspend ni ne faiblit, tu peux, ma charmante nièce, te reposer quelques instants sur la rive du fleuve.

léonor.

La chasse est un noble exercice ; on oublierait tout, on s’oublie soi-même dans un si généreux amusement.

l’amiral.

Tu as raison, Léonor ; c’est une agréable imitation de la guerre. Quoi de plus enivrant que de voir un vaillant porc épic, entouré d’une meute hardie, se défendre adroitement avec ses pointes d’ivoire ? Laissant approcher l’un après l’autre les chiens qui l’entourent, il terrasse l’un, blesse l’autre ; et lançant de tous côtés ses piquants, il semble un vivant carquois de flèches acérées… Il fait beau voir également un lévrier qui, furieux de perdre sa proie, se mord les pattes de rage, et recommence une nouvelle attaque. Il fait beau les voir tous deux se frapper à l’envi, et l’on dirait alors que la nature ait soumis les animaux mêmes à la loi de l’honneur.

léonor.

Oui, ce spectacle est du plus vif intérêt. Mais, je l’avoue, la chasse au vol me plaît encore davantage. Quoi de plus ravissant que de voir un héron, léger comme l’air, rapide comme la foudre, qui passe en un moment de la région glacée à la région du feu, et se balance à son gré entre les deux, en excitant en vous une inquiétude charmante ? de voir ensuite deux faucons faire des pointes sur lui ; fendant la plaine éthérée avec une inexprimable vitesse, poursuivre le héron qui leur échappe ? On dirait que le ciel entier n’est pas encore assez vaste pour être le champ clos de ce combat. À la fin, malgré ses détours, attaqué par deux adversaires, le héron, blessé mortellement, tombe du ciel comme une étoile ensanglantée, et, cependant, ses vainqueurs triomphent pleins de joie, car la nature a mis jusque dans les oiseaux l’orgueil du point d’honneur.


Entre PEDRO.
pedro.

Dans quel pays suis-je donc ? Je ne sais où je vais. Je n’en puis plus de crainte, et je m’aperçois qu’on se fatigue à voyager à pied. Je suis venu en Portugal pour voir si je trouve ici quelque remède à mes disgrâces, car, en vérité, pour une complaisance que j’ai eue pour ces pauvres amoureux, cela ne m’a guère réussi. Ne faut-il pas avoir du guignon, qu’au premier pas je me perde à un métier