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JOURNÉE III, SCÈNE II.

le roi.

Non pas ! je dois embrasser l’homme qui est l’Atlas de mon royaume, et qui veut bien m’aider à porter ce pesant fardeau.

don mendo.

Sire, mon obéissance et mon dévouement pourront seuls vous dire combien je reconnais tant de bonté.

le roi.

Puisque vous reparaissez à mes yeux, cela signifie que vous avez arrêté don Lope.

don mendo.

Oui, sire, et je l’ai envoyé prisonnier dans ma maison, afin que personne ne puisse lui parler.

le roi.

Vous ne m’avez jamais rendu de plus grand service. Je prétends conserver le nom de Justicier, et je veux surtout le mériter dans le châtiment d’un délit si étrange et qui n’a pas de précédent.

don mendo.

Il ne faut pas cependant que le juge suprême se laisse influencer par la première information ; car, à ce que j’ai appris, les charges ne sont pas aussi graves qu’elle pourrait le faire croire.

le roi.

Eh quoi ! Mendo, dans cette information n’y a-t-il pas un fils qui a maltraité son père, et n’y a-t-il pas un père qui a porté plainte contre son fils ? que voulez-vous de plus grave ?

don mendo.

Je confesse que cela ne l’est que trop ; mais enfin, jusqu’ici votre majesté n’a pas entendu ce que l’accusé peut avoir à dire à sa décharge.

le roi.

Je serais heureux, don Mendo, qu’il pût si bien se justifier, que j’eusse à reconnaître qu’il ne s’est point commis dans mon royaume un crime si nouveau, si extraordinaire, si révoltant.

don mendo.

Croyez bien, sire, que cette faute, si énorme au premier coup d’œil, perd beaucoup de sa gravité quand on examine le fait avec attention. — Don Lope se battait avec don Guillen de Azagra ; pour quel motif ? je l’ignore ; mais don Guillen est également arrêté. Le père de don Lope arriva dans un moment où le combat était suspendu. Dans ce moment don Guillen allait donner un démenti à son adversaire ; mais il n’osa pas, et le vieillard, emporté par la colère, donna le démenti à sa place, en le prononçant toutefois de telle manière, que le jeune homme y fut trompé, et qu’il voulut frapper son adversaire, lorsque le vieux Lope, s’étant mis entre eux deux, reçut le coup. Or, la chose s’étant passée ainsi, il est clair que le jeune homme ne voulait pas frapper son père ; mais don Lope, se voyant maltraité par son fils, accourut à vos pieds, de