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JOURNÉE III, SCÈNE II.

don fernand.

Moi, Brito ? Tu te seras trompé. Je ne suis plus l’infant, le grand maître ; je ne suis plus que leur cadavre… Et quoique j’aie été autrefois l’un et l’autre, maintenant que me voilà à demi enseveli, on ne peut plus me donner ces noms.

le roi.

Si tu n’es plus l’infant ni le grand maître, réponds-moi, Fernand.

don fernand.

Maintenant, je m’efforcerai de me traîner jusqu’à vous pour baiser vos pieds.

le roi, à part.

Tant de patience m’irrite… Cette obéissance est-ce de l’humilité ou de l’orgueil ?

don fernand.

C’est seulement une preuve du respect que l’esclave porte à son seigneur. Mais puisque ton esclave est aujourd’hui devant toi, il va te parler. Daigne l’écouter, ô mon roi et mon maître ! — Tu es roi ; et encore que ta loi soit différente de la mienne, la majesté qui s’attache à ces titres a je ne sais quoi de si puissant, de si divin, qu’elle force les cœurs à devenir généreux. J’ai donc lieu de compter sur ta pitié et ta sagesse, puisque la royauté possède de tels privilèges, que même chez les animaux sauvages elle conserve encore son influence. Dans les déserts, le lion, roi des quadrupèdes, qui, en fronçant ses terribles sourcils, se couronne de sa noble crinière, est d’une générosité qu’on célèbre, et jamais on ne l’a vu maltraiter la proie qui se rendait à lui. — Au milieu des ondes salées, le dauphin, — qui porte des couronnes dessinées sur son dos azuré en écailles d’or et d’argent, sauve à terre les hommes victimes de la tempête, et les dérobe à la fureur des flots. L’aigle, à qui le vent se plaît à former une couronne en relevant les plumes qui entourent sa tête, l’aigle, que tous les oiseaux reconnaissent pour le souverain des airs, de peur que l’homme ne vienne à boire dans l’argent brillant le venin que l’aspic a mêlé à son breuvage, le trouble et le disperse avec son bec et ses ailes[1]. — Il n’est pas jusqu’aux plantes, et même jusqu’aux pierres où ne s’étende cet empire de la royauté… La grenade, dont l’écorce ornée d’une couronne indique sa domination sur les fruits, indique qu’elle est empoisonnée, le montre en ôtant leur éclat aux rubis qui la remplissent, et leur donnant la couleur terne et pâle de la topaze. — Le diamant, auprès de qui l’aimant lui-même, loin de l’attirer à soi, montre l’obéissance d’un sujet fidèle, le diamant ne peut souffrir de trahison en celui qui le porte ; sa dureté, qui résiste à l’acier, cède sans effort, il se réduit en poussière par le contact de la dé-

  1. Tradition populaire.