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LE SCHISME D’ANGLETERRE.

— À la mort des rois on voit, dit-on, des ombres fantastiques, des oiseaux de feu, qui parcourent les airs, des comètes qui éclairent le ciel d’une lumière sinistre. Moi, j’ai vu la comète fatale, présage de mort, dans ce rêve affreux qui remplit mon âme d’horreur. Laissez-moi donc, laissez-moi mourir par la main de celle qui me tue. La mort me doit être douce, puisque c’est Anne de Boleyn qui me la donne.


Entre PASQUIN.
pasquin.

Le roi est triste. De quoi lui sert tout son pouvoir, s’il ne peut pas être gai quand il lui plaît ? (Haut.) Vous avez donc, sire, quelque sujet d’ennui ?

le roi.

Oui ; car ni la majesté ni le sceptre ne peuvent rien contre nos passions… Et je suis triste.

pasquin.

Eh bien ! moi, je dis que je ne regrette pas du tout de n’être pas roi lorsque je suis gai… et sur ce propos il me vient une petite histoire. — Un philosophe avait établi son séjour sur le haut d’une montagne, ou dans le fond d’une vallée, — cela ne fait rien à l’affaire ; — et un soldat venant à passer, se mit à causer avec lui. Après avoir jasé de choses et d’autres. « Est-il possible, dit le soudard, que vous n’ayez jamais vu notre roi, le grand Alexandre ? Ne savez-vous pas ses victoires, sa gloire ? N’avez-vous jamais ouï dire que la renommée l’avait proclamé l’empereur de l’univers ? » À quoi le philosophe : « N’est-il pas un homme ? et dès lors, qu’importe que je le voie au lieu de te voir toi-même ? Mais non ; pour que tu comprennes bien l’erreur où tu es, arrache du sol une de ces fleurs, emporte-la avec toi, et dis à ce grand Alexandre que je le prie de me faire une fleur semblable ; tu verras bientôt à quoi se réduit ce merveilleux génie que le monde admire, et combien il est faible et petit, puisque, après avoir remporté tant de victoires, ton maître ne peut pas me faire une fleur aussi vulgaire, et que l’on trouve dans la campagne à chaque pas. » De même vous, sire, vous un si grand monarque, vous un roi dont on vante l’intelligence et la puissance, vous ne pouvez à volonté être gai, chose commune que l’on voit souvent chez un va-nu-pieds, et chez un meurt-de-faim.

le roi.

Tes contes m’amusent.

pasquin.

Et vous, de peur de m’amuser, vous ne me donnez rien.

le roi.

Parle, que veux tu ?

pasquin.

Que vous m’établissiez, je vous prie, défigureur de la cour et du